• Actualités

L’Église et la crise syrienne : interview avec le directeur de Caritas en Jordanie.

Le Pape François ne cesse d’exhorter les chrétiens et la Communauté Internationale à ne pas oublier celles et ceux qui souffrent à cause de la crise syrienne.

Le patriarcat latin de Jérusalem a choisi d’interviewer quelqu’un qui travaille directement avec les immigrants syriens en Jordanie : Wael Souleiman, Directeur de Caritas-Jordanie.
1. Des négociations ont eu lieu à Genève, il y a quelques mois, entre la résistance et le régime en Syrie. Elles ont échoué. Puis il y eu des élections, il y a quelques semaines, et une partie du peuple syrien a élu encore une fois Bashar Al-Assad. La situation devient de plus en plus difficile là-bas, et les médias nous transmettent des images qui font pleurer les yeux, et révolter les cœurs qui cherchent la justice dans ce monde. Dans ce contexte, le Pape François a adressé, quelques jours après la fin de son pèlerinage en Terre Sainte, le 30 mai 2014, un message aux organisations caritatives catholiques, dans lequel il les a encouragé de « ne pas oublier » la Syrie. Vous vivez cette situation de l’intérieur, que dites-vous à vous-même afin de combattre la tentation du désespoir, de l’oubli ? Comment gardez-vous l’Espérance ?  

Nous ne pouvons et ne devons pas désespérer ! Car quand je pense à Caritas et ses volontaires, je vois des personnes qui ont un engagement religieux et national de haut niveau, car ils sont tous éduqués sur les bases de la Doctrine Sociale de l’Eglise Catholique, et ils la mettent en pratique. Nous nous sentons responsables d’aider les personnes qui n’ont plus d’espoir et d’espérance. Nous ne pouvons pas désespérer ! Là où il y a la croix, il y a toujours l’espoir. Nous témoignons que nous sommes des porteurs de l’Amour de Dieu pour le monde, que Dieu lui-même est Amour et qu’Il aime d’une façon particulière ceux qui souffrent. 2000 personnes travaillent avec Caritas-Jordanie, et ils reçoivent tous la Doctrine Sociale de l’Eglise Catholique comme base de leur éducation, et ont un engagement chrétien et national très profond. Même le musulman qui travaille avec Caritas étudie ce que nous appelons « l’Evangile Rouge » : le livre qui contient l’enseignement social de l’Eglise Catholique et qui a une couverture rouge. Ce livre parle de la solidarité, le service, l’amour… qui sont des principes humains tout simplement. La devise de Caritas est : «Caritas est une mission et non pas un emploi ». C’est pourquoi, seul celui qui aime la mission, qui porte un message, peut nous joindre.

 

2. Nous savons que la Jordanie accueille depuis quelques années beaucoup d’immigrants syriens. Dans son discours devant Sa Majesté le Roi Abdullah de Jordanie, le Pape François a appelé la Communauté Internationale à soutenir la Jordanie, en disant : « Un tel accueil mérite, Majesté, l’estime et le soutien de la communauté internationale ». Il a poursuit en réaffirmant la volonté de l’Eglise Catholique d’aider « selon ses possibilités…surtout par l’intermédiaire de Caritas Jordanie ». Comment voyez-vous l’application de cela sur le terrain ? Et comment Caritas Jordanie répond-t-elle à cet appel du Pape ?

Quand le Pape a dit cela devant le Roi, il était au courant du fait que Caritas a offert, rien que durant l’année 2013, 315 000 services différents. Le Saint Père sait aussi que Caritas Jordanie sert tout le monde sans discrimination entre palestiniens, jordaniens, syriens et irakiens. Cette affirmation du Pape nous réjouit et nous encourage vraiment. Ce que nous appliquons sur le terrain c’est, tout simplement, les enseignements sociaux de l’Église et celles du Christ lui-même. C’est la charité, l’amour. C’est le sens étymologique du mot Caritas en Latin. Mais Caritas Jordanie n’est pas seule. La Communauté Internationale n’a pas laissé la Jordanie seule pendant ces trois dernières années. Je travaille avec Caritas Jordanie depuis 15 ans, et je n’ai jamais rencontré une association qui travaille seulement pour les syriens.

 

3. Quelles propositions pratiques donnez-vous aux personnes qui souhaitent répondre à ce devoir humain, chrétien et évangélique ? Comment soulager un peu les souffrances de ces immigrants, sans se contenter de prononcer des mots de compassions classiques comme : « Ah les pauvres » ou « Que Dieu les aide ». En pensant surtout à la Lettre de Saint Jaques qui dit : « Supposons que l’un de nos frères ou l’une de nos sœurs n’aient pas de quoi s’habiller, ni de quoi manger tous les jours ; si l’un de vous leur dit : “Rentrez tranquillement chez vous ! Mettez-vous au chaud, et mangez à votre faim !” et si vous ne leur donnez pas ce que réclame leur corps, à quoi cela sert-il ? ».

Effectivement, le service est un « art » ; à chaque artiste de concevoir et créer sa pièce d’art ! Le service peut être une aide matérielle (j’ai quelque chose que je souhaite donner à celles ou à ceux qui sont dans le besoin, par exemple). Mais le service peut être aussi quand je viens pour mettre mon talent au service de ceux qui souffrent. Je pense, par exemple, à la possibilité de faire monter une équipe de football, ou un groupe qui s’occupe des enfants des immigrants qui ont une difficulté à l’école ou qui n’arrivent pas à aller à l’école. Chez Caritas il y a toujours de la place pour les volontaires.

 

4. Vous faites déjà beaucoup pour aider. Mais comment l’Église peut-elle contribuer, avec la Communauté Internationale bien sûr, à chercher une solution à partir des racines du problème, qui sera probablement une solution politique ? Autrement dit, est-ce que la crise syrienne est une affaire intérieure qui exclut une intervention extérieure ? Ou bien est-ce qu’une affaire humanitaire permet ou permettra une certaine intervention extérieure ?  Quelle sera la nature d’une telle intervention éventuelle ? Rappelons que le Pape a répété à plusieurs reprises l’importance et l’urgence d’arrêter la fabrication des armes et leurs ventes aux groupes armées.

Je pense que l’Église peut certainement intervenir. Elle devra le faire. Nous avons effectué, il y a quelques jours, un voyage en Suisse et en Belgique pour recevoir le Prix Caritas 2014. J’ai pu rencontrer là-bas le nonce apostolique auprès de l’Union Européenne, qui m’a posé la même question : « Qu’est-ce que l’Église peut faire ? ». Je lui ai répondu en disant que nous avons besoin de personnes capables de rassembler les partis, et de réduire la fracture. Le Pape François a une grande capacité de créer le dialogue, sans prendre parti pour un côté contre l’autre. L’Église a cette capacité d’être impartiale. Il ne faut pas oublier l’histoire. Il ne faut pas oublier que l’Église a pu jouer un rôle important dans la réconciliation entre l’Allemagne et la France suite à la guerre de 1870. C’est à cette époque-là que Caritas fut créée par un prêtre catholique allemand, Lorenz Werthmann, qui a aidé des blessés français, c’est-à-dire des ennemis ! L’Église a une vision et un regard qui est différent, elle regarde avec les yeux de Dieu et c’est cela qui lui donne un rôle unique à jouer.

Propos recueillis par  Firas Abedrabbo pour Patriarcat Latin de Jerusalem