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"Ce qui me marque c’est sa forte espérance" rencontre avec le cardinal Sako

Laurence Desjoyaux, vous avez écrit avec le patriarche Louis Raphaël Sako I un ouvrage intitulé « Ne nous oubliez pas ! ». Pouvez-vous nous raconter comment vous l’avez rencontré et comment a été écrit cet ouvrage ?

J’ai rencontré Mgr Louis Sako en 2012, lors d’un premier reportage en Irak, alors qu’il était évêque de la ville de Kirkouk. Au fil des reportages, nous avons gardé contact jusqu’à cette nuit tragique du 6 au 7 août 2014 où tous les chrétiens de la plaine de Ninive ont dû fuir devant l’avancée de Daech. J’ai été prévenue dans la nuit de ce qui était en train de se passer par des amis eux-mêmes en train de fuir dans la panique, mais cela me semblait irréel. J’avais du mal à croire que cette région où j’avais passé plusieurs séjours soit aux mains des djihadistes. Puis, j’ai eu au téléphone le patriarche Sako qui confirmait ces premiers témoignages et l’ampleur du drame qui était en train de se dérouler. Il répétait : « il faut dire au monde ce qui nous arrive, il faut écrire SOS, SOS pour la plaine de Ninive… » En septembre 2014 et compte tenu de cette actualité brûlante, le directeur des éditions Bayard a voulu faire parler ce témoin essentiel. Le titre dit tout : « Ne nous oubliez pas ! » Tout le propos du patriarche Sako est d’expliquer aux occidentaux que les chrétiens d’Irak ont une histoire plurimillénaire, qu’ils sont une richesse pour leur pays et donc que leur disparition serait une tragédie. Daech vaincu, le propos reste néanmoins d’une grande actualité car la situation des chrétiens en Irak reste précaire et que tout est à reconstruire dans la plaine de Ninive.

 

Pouvez-vous nous parler du patriarche Sako, de son histoire ?

Son histoire familiale et personnelle est vraiment irakienne et profondément chrétienne. Sa famille a été déplacée plusieurs fois, notamment en 1925, chassée de l’ancien empire ottoman au moment du génocide arménien. Né en 1949 dans un village du nord de l’Irak, Louis Sako avait sept ans lorsque sa famille a déménagé à Mossoul. Quelques années plus tard, la ville a connu un violent soulèvement. On peut donc dire que dès l’enfance, Mgr Sako a été confronté aux déplacements et à la violence. Mais c’était aussi une période où chrétiens et musulmans vivaient vraiment ensemble, fréquentant les mêmes quartiers et les mêmes écoles. Ce « dialogue de vie » comme il l’appelle, fondé sur des relations de tous les jours et non sur des grands discours, a en partie structuré sa vision des relations entre les différentes communautés religieuses et ethniques présentes en Irak. Comme prêtre, évêque et aujourd’hui comme patriarche, il a exercé son ministère dans les villes les plus dangereuses du pays, à Mossoul, Kirkouk et Bagdad. On peut dire qu’il est doté d’un certain courage physique, préférant rester auprès de ses fidèles dans des régions considérées comme dangereuses et où les chrétiens ont été victimes de nombreux kidnapping et d’attentats. Entre l’invasion américaine de 2003 et aujourd’hui, plus de 1000 chrétiens ont été tués en Irak, des milliers ont été kidnappés, torturés et rançonnés.

 

Quelle est la vision du patriarche Sako pour son pays ?

Le discours qu’il répète inlassablement est celui de la paix alors que l’Irak est en guerre contre ses voisins où à l’intérieur de ses frontières depuis le début des années 80. Comme patriarche il porte vraiment la voix de la paix, ne cessant de rencontrer les différents responsables politiques et religieux pour les exhorter à sortir des logiques communautaires et de la spirale des revanches successives. Son opiniâtreté est reconnue par tous et il est respecté en Irak. Depuis ses débuts comme prêtre à Mossoul, il fait tout pour favoriser le dialogue avec les musulmans. Un dialogue fondé sur la vérité et sur le refus de la haine. À Kirkouk, par exemple, où Mgr Sako a été évêque de 2003 à 2013, l’évêché était devenu le point de rencontre régulière entre tous les chefs religieux et politique de cette ville où les attentats étaient quasi quotidiens. Ils ont fini par signer une convention en dix points très précis où ils s’engageaient à ne pas dire du mal des autres religions dans leurs prêches, à lutter contre les préjugés réciproques, à ne pas financer les terroristes, etc. Certes cela n’a pas empêché des bombes d’exploser à nouveau mais combien de personnes ont été sauvées, combien d’attentats ont été évités grâce à ce lent travail de mise en relation et de dialogue ?

 

Quelle est sa vision du rôle des chrétiens en Irak ?

Comme il l’applique lui-même, il plaide pour que les chrétiens soient engagés dans la société irakienne et non pas replié sur eux-mêmes. C’est à la fois une question de survie dans un pays où les chrétiens sont minoritaires, mais aussi de vision de ce que les chrétiens peuvent apporter à leur pays. Par leur différence, ils sont garants, souvent dans la douleur d’ailleurs, d’une société pluraliste. Lors de l’invasion de la plaine de Ninive par Daech qui a entraîné le déplacement d’environ 120 000 chrétiens, Mgr Sako a toujours plaidé pour que les chrétiens puissent rester dans leur pays. Il n’a jamais chercher à leur trouver, par exemple, un pays qui pourrait tous les accueillir comme en rêvent parfois certain chrétiens irakiens, fatigués par des années de persécutions. Ce refus de l’immigration de masse a parfois été mal compris par ses propres fidèles. Mgr Sako, pour sa part, a toujours dit qu’il respectait la liberté de ceux qui souhaitaient partir mais qu’il se battrait pour que le plus grand nombre puisse rester. De fait, il n’a cessé de travailler à améliorer leurs conditions de vie. Auprès des décideurs politiques irakiens, il plaide sans relâche pour que les discriminations institutionnelles dont sont victimes les chrétiens soient levées et que tous les Irakiens aient accès à la même citoyenneté. Auprès des décideurs étrangers qu’il rencontre régulièrement, il demande une protection internationale et une aide financière.

 

Quel va être son rôle comme cardinal ?

Je pense que cette nomination est une reconnaissance pour son travail et son engagement en faveur de la paix et pour la protection des chrétiens. Elle va lui donner plus de poids, à la fois face à ses interlocuteurs irakiens, mais aussi au sein de l’Église universelle, pour faire entendre la voix des chrétiens orientaux et plus particulièrement irakiens. Il ne faudrait pas, une fois Daech vaincu en Irak, que les chrétiens occidentaux qui se sont mobilisés oublient leurs frères d’Orient.

 

Qu’est ce qui vous a marqué plus particulièrement dans son action ces dernières années ?

Ce qui me marque c’est son opiniâtreté et sa forte espérance qui n’est pas de la naïveté. Lorsque j’ai réalisé avec lui ce livre d’entretien, fin 2014, Daech était à son apogée en Irak, les chrétiens vivaient dans des camps de tentes et personne ne s’avançait à prédire une issue à cette invasion djihadiste. Pourtant lui était persuadé que les chrétiens surmonteraient cette épreuve comme ils en avaient surmonté d’autres. C’est sur ces phrases, d’ailleurs, que se termine l’entretien : « Nous sommes dans un tunnel, il est long, étroit et sombre. Mais au bout, il y a la lumière, il y a le jour. Le mal n’a pas d’avenir. Il fait beaucoup de dégâts, beaucoup de bruit, il tue ! Mais il n’a pas d’avenir. Alors que le bien est lent, laborieux, mais il dure. Il est stable. Il est vainqueur. »