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Comment Gaza se prépare à Noël

Cette année, Noël revêt une dimension particulière pour les catholiques gazaouis de la paroisse de la Sainte Famille. Trois semaines après la fin de  l’opération  israélienne « Pilier de Défense », la paroisse a vu la trêve comme  « un miracle ». Le Patriarche Fouad Twal qui pour la première fois depuis le cessez-le-feu se rendait à Gaza expliquait dans son homélie dimanche que « Noël est un don du Ciel mais qu’il faut aussi des hommes de bonne volonté pour que la paix existe. » Il a aussi invité les chrétiens « à vivre une foi forte » pour rester vivre sur cette terre sainte où la Sainte Famille est passée lors de sa fuite en Egypte et a rappelé que « Jésus a aussi souffert l’injustice. » Selon le curé de la paroisse, le Père Jorge Hernandez de l’Institut du Verbe Incarné : « les paroissiens sont très sensibles à cette visite et c’est aussi ‘un peu de Jérusalem’ qui leur arrive ici et qui les touche beaucoup dans leur vie de foi. » Et pour remercier tous ceux qui les ont soutenus pendant la guerre par leurs prières et leurs dons, la paroisse a fait célébrer une  messe officielle d’action de grâce.Et le curé d’affirmer « que tous sachent qu’on a prié pour eux. »

Après la messe d’hier, le Patriarche, comme à l’accoutumée, a rencontré les familles avec à ses côtés Mgr Marcuzzo, vicaire à Nazareth, dans une salle aménagée pour l’échange des vœux de Noël. L’administrateur général du Patriarcat le Père Humam Khzouz qui a bien coordonné l’entrée de la délégation dans la Bande de Gaza, et le chancelier – le Père Georges Ayoub – faisaient aussi partie de la délégation patriarcale.

La petite paroisse catholique de la Sainte famille rassemble précisément 185 fidèles. Parmi les 1,6 million d’habitants à Gaza qui s’agglutinent sur 360 km2, on compte une poignée de 1550 chrétiens (majoritairement grecs-orthodoxes). Après la guerre de 2008, ils étaient encore 3000. Cette année, la moitié est partie.

Noël sera donc fêté après les bombes. Ainsi va la vie à Gaza. Huit jours de destruction massive ont laissé des traces sur les immeubles, les bâtiments publics, les écoles. Le long des rues, on tombe sur d’autres ruines, comme celles du stade de football dont les tribunes ont été éventrées par une frappe. Au milieu des décombres, résonne encore la violence et sur les visages comme l’a fait remarquer hier Mgr Marcuzzo « la fatigue se lit en noir. » Pour autant, il faut le reconnaître, les Gazaouis s’attachent à la vie. En témoignent les sourires d’enfants devant nos appareils photos, les mères heureuses et fières de leur progéniture, les commerces ouverts, la circulation bruyante.  Car en fait, Gaza vibre de vie. Hommes, femmes, enfants, confrontés à la violence, à la pénurie, au conservatisme qui domine fortement la vie quotidienne, souffrent d’un taux de chômage extrêmement élevé (60% de la population) et de l’ennui des jours sans distraction. Mais les Gazaouis vivent aussi les joies des fêtes et des mariages. Dans la paroisse catholique par exemple on compte en moyenne 1 ou 2 mariages et 3 – 4 baptêmes par an.

Très vite après la trêve, les trois écoles catholiques de la Bande de Gaza qui accueillent 1500 élèves dont une très large majorité de musulmans ont organisé la rentrée. Les deux écoles catholiques de la Sainte Famille avaient rouvert leurs portes. L’école des sœurs du rosaire, quant à elle, a dû attendre jusqu’au lundi suivant pour réparer les fenêtres brisées à cause des déflagrations. « Le froid de l’hiver arrivait et il fallait agir vite » confie sœur Davida, la directrice de l’école. Dans cette école, où servent trois sœurs du rosaire, la directrice raconte la reprise des cours : « Beaucoup d’enfants avaient du mal à se concentrer après plus de trente minutes en classe. Deux psychologues de la Caritas sont venus les aider à réapprendre à jouer et à chanter. Redonner à un enfant un sentiment de sécurité est un processus de longue haleine.» Inexorablement, le drame se poursuit dans les entrailles de chacun. Le Père Jorge Hernandez a remarqué avec la directrice de l’école élémentaire de la paroisse, plusieurs troubles parmi les enfants scolarisés : « Quand la sonnerie annonce la fin des cours, quand un avion vole au dessus de leurs têtes, certains élèves ont peur » expliquent-ils.  « D’autres enfants restent en petits groupes, à côté des murs. Ils sont toujours dans un comportement de guerre. Ils ont aussi peur du silence, du grand silence. » Et le curé d’affirmer qu’ « à Gaza, quand un enfant entre aujourd’hui à l’école, il a déjà vécu deux guerres. Et il n’a que 4 ou 5 ans. »

Pour ces enfants nés en guerre et qui vivent sous la  guerre, la paroisse propose une vie pastorale de prières et d’activités ludiques pour les aider à grandir « normalement » dans cette petite bande de terre surpeuplée qui subit le blocus de ses voisins. Plus que jamais les communautés religieuses qui vivent à Gaza s’emploient à tout faire pour aider les fidèles de la paroisse mais aussi les orthodoxes et les musulmans à reprendre souffle après les évènements. La paroisse est soutenue par trois sœurs de l’Institut du Verbe Incarné, auquel appartiennent aussi le curé et le tout nouveau vicaire de la paroisse arrivé il y a à peine trois semaines, l’abouna Mario. A leurs côtés œuvrent les sœurs du rosaire et les sœurs missionnaires de la Charité de Mère Teresa dont le ministère est dédié aux enfants handicapés. A travers « l’oratorio festivo », enfants, parents et familles peuvent mener une vie quasi-normale. Il y a de bons moments, les gens viennent pour se former, pour prier, pour se voir, pour jouer. Ainsi comme dans les rues de Gaza, la vie reprend ses droits dans la paroisse oubliant le quotidien, les problèmes de sécurité, de services de santé mais aussi des problèmes constants d’électricité. La paroisse est un ilôt de vie où le calme semble réinstallé à nouveau, bien loin des images de « Gaza Ville fantôme. » Certes, les habitants ont retrouvé leur vie, mais avec le blocus. Comme l’a dit à plusieurs reprises le Patriarche « les Gazaouis n’ont pas une vie normale. Ils vivent dans une prison à ciel ouvert. » Samedi après-midi, avant la venue du Patriarche, dans la cour de la paroisse, des ados jouaient au ballon ; la fanfare scoute répétait, la crèche était prête et l’arbre de Noël décoré, le diwan apprêté et le déjeuner dominical préparé. C’est là que le Patriarche le lendemain a salué les paroissiens leur transmettant personnellement ses vœux de Noël.

Une mère de famille qui nous a accueillis pour le dîner vendredi soir confiait : «  On reprend notre quotidien. C’était une période vraiment très dure, ce n’était pas facile mais on s’apprête avec les enfants à fêter Noël. Il faut bien vivre. » L’arbre de Noël, la crèche, la naissance d’un cinquième enfant pour bientôt montre que la vie est là. Bien là. Et dans la paroisse, Noël se prépare sans oublier les malades et les personnes âgées. Pendant les 10 jours qui précédent la fête de la Nativité, le curé de Gaza visite chaque soir 4 personnes âgées ou malades (c’est-à-dire 40 personnes en tout) en compagnie d’une petite délégation de jeunes et de sœurs du Verbe Incarné.  Nous avons participé à quatre de ses rencontres. La quinzaine de visiteurs ce soir-là dans la nuit bleue de Terre Sainte s’est jointe aux cantiques de Noël et aux prières, distribuant eau bénite et petits cadeaux. Parfois même, le prêtre a délivré le sacrement des malades. Le Père Jorge explique « Depuis trois ans que je suis là, j’ai vu que ce petit tour de visite intéressait beaucoup de monde. Au début, nous avons commencé à 5 puis le mouvement a pris plus d’ampleur. Tous les jeunes aujourd’hui veulent participer. On est obligé d’organiser des tours de rôles. Pendant l’année, nous distribuons aussi la communion aux personnes malades. Il arrive parfois que 2 – 3 scouts viennent également pour donner un service. »

Demain, mardi 18 décembre, l’église latine de Gaza attend 450 personnes  pour accueillir le traditionnel “Concert de Noël” organisé chaque année en cette période dans le cadre du Festival de Musique Baroque, soutenu par le service de coopération culturelle du Consulat Général de France à Jérusalem. Le soir du 24 décembre, certains paroissiens auront peut-être obtenu le permis de la part des autorités israéliennes pour se rendre le soir de Noël à Bethléem. Mais tous ne pourront pas en bénéficier. Ceux qui resteront accueilleront autour d’une crèche vivante Mgr Shomali, évêque auxiliaire pour Jérusalem qui passera la nuit de Noël en compagnie des fidèles de la paroisse. Et pas seulement… car de nombreux non-catholiques viendront aussi se réjouir de la venue sur Terre du Prince de la Paix et prier derrière le curé qui n’a qu’un message pour Noël : « Que le Sauveur donne sa paix au peuple de Gaza et surtout aux dirigeants de la Région. Qu’il nous donne aussi la force de continuer d’avancer. »

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