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Conférence de Carême de Mgr Gollnish, dans la CROIX : "Pas de paix sans liberté"

Le carême est un temps donné pour essayer de se faire davantage le compagnon du Christ sur le chemin qui le conduit de Gethsémani au calvaire ; un temps aussi pour reconnaitre que nous ne pouvons pas le suivre jusqu’au bout. Un temps enfin pour reconnaitre dans le visage du crucifié l’Homme accompli sur le visage duquel se pressent la gloire du ressuscité Ecce Homo. Voici l’Homme. Il faut bien les yeux de la foi pour reconnaitre en Jésus celui qui assume la liberté humaine. Il a défié les pouvoirs humains de son temps. le pouvoir religieux du grand prêtre et le pouvoir politique de Pilate non tant pour entrer en rébellion que pour manifester une autorité plus grande encore devant laquelle tout pouvoir doit s’incliner, l’autorité du Père qui veut que nous soyons libres.

Jésus, homme libre nous appelle à la liberté comme le souligne la Lettre aux Galates. Nous avons reçu un esprit de Fils adoptif et non pas un esprit d’esclave. Nous ne sommes plus sous la Loi mais sous la Grâce. Et donc à bon droit l’encyclique Pacem in Terris souligne l’importance de la liberté : pas de paix authentique sans liberté.

Cependant, plus encore que les trois autres exigences de la paix évoquées par Jean XXIII, la vérité, la solidarité, la justice, la liberté ne constitue pas une fin en soi. Laissée à elle-même, la liberté peut conduire à un éclatement social où tous les égoïsmes pourraient s’imposer, comme le soulignait le concile Vatican II il y a cinquante ans (gaudium et ses, n°65). La liberté doit être articulée sur des valeurs qui transcendent les individualismes tout en respectant la personne.

L’enseignement du Pape Jean Paul II a insisté constamment et sur la valeur de la liberté et sur son lien intrinsèque avec la vérité, qui seule donne à la liberté sa dimension humaniste.

L’évolution des sociétés arabes, présentée comme un printemps, montre l’aspiration à la liberté. Comment ne pas rendre hommage aux hommes et aux femmes qui ont eu le courage, avec des moyens dérisoires et au péril de leur vie, de renverser des régimes autoritaires ? Et comment ne pas être angoissé par le détournement de ce printemps au profit d’autres dictatures qui désirent se mettre en place ? Dans les sociétés du Proche-Orient, les chrétiens ne représentent qu’un petit nombre de citoyens, en-dehors de l’Égypte et du Liban. Ils ne peuvent ni ne veulent constituer une « force » au sens politique ou militaire. Dans cette région du monde, l’Islam est donc face à lui-même. Quel projet de société le monde arabo-musulman va-t-il proposer ? Comment va-t-il permettre à ses peuples d’entrer dans la modernité rationaliste et dans la post-modernité individualiste? Quel sera l’apport de la culture arabo-musulmane à la civilisation mondiale qui s’élabore sous nos yeux ? Si les chrétiens ne sont pas une « force » ils ont cependant un rôle important à jouer. Ils aspirent légitimement à être paisiblement des citoyens à part entière dans leur propre pays. Ils sont artisans de paix et au service de l’ensemble de la population spécialement dans l’éducation et la santé. Ils ne sont pas le produit d’une évangélisation ou d’une colonisation occidentales, mais ont une tradition de présence bimillénaire dans cette région. La paix au Proche-Orient ne pourra se mettre en place si elle s’accompagne de la disparition des chrétiens. Ces derniers seront avec d’autres les acteurs et les révélateurs d’un authentique progrès vers la paix et vers la liberté. Car, au-delà des chrétiens, toutes les minorités, y compris musulmanes, attendent avec anxiété de savoir comment les forces dominantes reconnaîtront la légitime diversité sans laquelle aucune paix n’est possible. Quelles seront les valeurs qui pourront éclairer l’aspiration à la liberté ?

L’encyclique Pacem in Terris a été rédigée dans un contexte de guerre froide et de décolonisation. Aujourd’hui, la question de la liberté religieuse est au centre des préoccupations. Certes, la liberté de culte est généralement respectée à l’exception notoire de l’Arabie saoudite. Mais la liberté religieuse n’est vraiment respectée qu’au Liban. La liberté religieuse va au-delà de la liberté de culte; elle n’est pas que la liberté de prier dans des églises. Elle suppose également la liberté de traduire en actes et en paroles publiques sa foi, la liberté de changer de religion, la liberté de renoncer à toute religion. La liberté religieuse ainsi comprise, présente dans les traités internationaux, a été considérée comme la source et le révélateur de toutes les autres libertés par le Pape Benoît XVI. Plus que toutes les autres en effet elle se situe au cœur de chaque personne. Plus que toutes les autres elle articule la liberté individuelle sur ce qui transcende la personne et en même temps reconnait la personne dans ce qu’elle a de plus légitime. Le Christ ayant dépassé l’angoisse de Gethsémani, se remettant entre les mains de son Père, affronte les pouvoirs humains qui ne songent qu’à la pérennité de leur puissance. Pilate craint les juifs, les grands prêtres craignent la foule. Le Christ, dans son martyre et dans sa vulnérabilité est dans la paix filiale que nul ne peut lui dérober.

La paix n’est possible que si la peur est surmontée. Elle n’est possible que si le plus fort reconnaît la dignité du plus faible. Elle n’est possible que si des valeurs communes rassemblent les hommes dans un respect mutuel. Les populations du Proche-Orient, musulmanes ou chrétiennes attendent de voir ces valeurs se dégager. Elles sont lassées par les violences qui ne sont que des impasses. Les chrétiens du Proche-Orient se veulent fidèles au Christ, qu’ils reconnaissent comme Celui qui lave les pieds des disciples. Ils savent aussi que « là où est l’Esprit, là est la liberté » (2Co3,16).

Certains s’inquièteront peut-être de mon interpellation vers le monde arabo-musulman, imaginant quelque volonté de donner des leçons. En réalité l’interpellation s’adresse aussi à notre monde occidental. Nous qui sommes bien prompts à afficher la liberté au fronton de nos mairies, ne devons-nous pas nous interroger sur les valeurs qui nous transcendent et nous réunissent, et qui donnent sens à notre liberté au-delà de nos égoïsmes ? L’effacement de ces valeurs ne risque-t-il pas de remettre en cause notre paix sociale ?

Dans cette interrogation nous avons sans doute à nous mettre à l’écoute de ce que nous disent les populations d’outre Méditerranée, aussi bien musulmanes que chrétiennes, qui sont parfois choquées de notre mésusage de la liberté.

 

+ Pascal Gollnisch

Mars 2013