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Egypte : la jeune génération prend son avenir en main

1. Quelle est votre analyse de la situation ?

P. Kamil Samaan : Je suis très optimiste. La liberté est une belle chose. La situation politique change en Egypte. Nous traversons des moments de désordre, mais cela me semble naturel après une période de dictature. Chacun souhaite s’exprimer et agir. Il y a des actes de violence qui, je précise, ne concernent pas que les chrétiens, mais tous les égyptiens.

2. Au niveau politique, comment s’organise le pays ?

K.S. : Un referendum constitutionnel a eu lieu le 19 mars 2011. Il portait sur des amendements de la constitution. Il y a eu une forte mobilisation. L’église a même loué des cars pour transporter ses fidèles au bureau de vote ! Les responsables de l’Eglise n’ont pas encore de finesse politique. Ils ont clairement incité à voter non, ce qui a braqué les responsables musulmans qui ont invité à voter oui.

Et même si les résultats ont été un peu falsifiés, les électeurs ont majoritairement approuvé les amendements constitutionnels. Maintenant cela ne suffit pas : les égyptiens demandent une nouvelle constitution.

Des élections législatives sont organisées en septembre pour élire un nouveau parlement égyptien. Très rapidement, à mon avis, un rédacteur pour la nouvelle constitution sera élu. Beaucoup souhaitent abroger l’article 2 « L’islam est la religion de l’Etat, et la charia est la base du droit ».

Les responsables d’al Azhar pensent plutôt le compléter en reconnaissant les religions célestes (monothéistes).

Des élections présidentielles doivent avoir lieu en janvier 2012.

3. On parle beaucoup des Frères Musulmans, qu’en est-il ?

K. S. : On parle aussi beaucoup de salafistes qui sont une minorité sunnite. Anciennement protégés par les services secrets, et très discrets, ils sont apparus pour récolter le profit de la révolution en semant la terreur. Nombreux sont ceux qui craignent leur influence. Contrairement aux Frères Musulmans, ils ne croient pas aux saints et détruisent leurs tombeaux.

Les Frères Musulmans sont très présents médiatiquement mais représentent moins de 20% de la population. Ils sont en train de créer « le Parti de la Liberté et la Justice » et veulent se présenter aux élections présidentielles. Ils sont actuellement en guerre avec les salafistes : bien que sunnites, influencés par les Fatimides (chiites au XIIème siècle), les Frères Musulmans vénèrent les saints et ne supportent pas les blasphèmes des salafistes.

Ils rencontrent également des difficultés en interne : 4 leaders du parti se sont séparés pour fonder un nouveau parti. Leurs jeunes n’acceptent plus la direction de la vieille garde.

Mi-Mars, ils ont convoqué un congrès au Caire et ont invité les plus âgés. Aucun n’est venu. A ce meeting, ils ont décidé que dans leur parti il devait y avoir au moins 10% de coptes et 25% de femmes, et, si les leaders ne l’acceptent pas, les jeunes s’en sépareront. Les Frères Musulmans n’arriveront pas seuls au pouvoir mais peuvent faire partie du gouvernement. Je ne peux pas savoir quelles seront alors leurs décisions politiques. Ils peuvent influencer ou être influencés. Mais d’expérience s’ils sont au pouvoir, leur cote de popularité baissera (plus ou moins 8%)et ils passeront alors à 12% dans les sondages.

4. Y a-t-il d’autres partis ?

K.S. : Oui, il y a une inflation des partis en Égypte actuellement ! Un nouveau parti se démarque et rencontre beaucoup de succès : le Parti Égyptien Démocratique Social. Dès son lancement, en 2 jours, il a reçu 7 000 inscriptions payantes (alors qu’il suffisait de 5000 adhésions pour valider sa création. Dirigé par Muhammed Aboulgrah, parrain de l’Indépendance des Universités, Muhammed Ghoneim, Amr Ham Zaoui, et Emad Gad (un Copte Orthodoxe très brillant), il rassemble des professeurs universitaires, des politiques, des écrivains, des hommes d’affaires, des personnalités libérales et de gauche. Tous aspirent à un État laïc. Cette coalition veut arriver à 36% des sièges du Parlement en septembre pour influencer la rédaction de la constitution.

Par ailleurs, le procès du Parti National Démocratique qui a soutenu Moubarak va bientôt s’ouvrir.

5. Qu’elle a été la position de l’Eglise pendant toute cette période?

K.S. : L’Eglise a fait une grosse gaffe en apportant son soutien à Moubarak. Mi-janvier, alors que la place Tahrir était en ébullition, les responsables auraient dû dire que les revendications étaient légitimes, appeler à ce que le mouvement soit pacifique et civilisé, mettre en garde contre toute récupération de partis politiques. Les protestants ont été les premiers à réagir et à soutenir la foule. Une anecdote illustre bien ce que pense les chrétiens : lors d’une émission télévisée, Emad Gad le responsable du PEDS dit au secrétaire du pape Shenouda III, Mgr Yoannes : « Excellence, restez à l’Église ! Vous pouvez nous enseigner à prier, à jeuner, mais la politique laissez-la nous, c’est à moi de vous l’enseigner ! »

6. Et que pense la population de tout cela ?

K.S. : Le taux d’analphabétisme en Égypte approche les 40%. Pour ces gens-là, à la question « préférez –vous être gouvernés selon la loi de Dieu ou selon la loi des hommes ? » la réponse immédiate est : « Par la loi de Dieu ». Cette population est très influençable par les Frères Musulmans et les salafistes.

Mais la situation change, cela va diminuer. Au contraire, les jeunes de la place Tahrir sont cultivés, ils ont voyagé, utilisent les réseaux sociaux et vous répondront l’inverse. C’est une question de génération !