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Egypte : un bouleversement à la fois inattendu et prévisible

Il n’aura fallu que dix-huit jours pour faire tomber ce régime.

Bien peu auraient pu imaginer cela: trente-et-un ans d’état d’urgence, permettant d’arrêter qui on voulait, sans mandat d’arrêt, de le détenir sans limite de temps, de torturer sans avoir à rendre de comptes, de faire planer la menace sur tous les citoyens. Et pourtant, avec le recul, on réalise que divers facteurs la préparaient, en particulier :

• depuis des années, les droits des personnes bafoués par un régime policier qui rançonnait la population et se plaçait au-dessus des lois ;

• la privatisation des entreprises publiques, nécessaire mais conduite de telle manière qu’elle a surtout servi à l’enrichissement d’une oligarchie

• la vie chère qui rend le quotidien impossible pour les 40 % d’Égyptiens sous le seuil de pauvreté (2 dollars par jour)

• la mort du jeune Khaled Saïd, en juin 2010, tabassé dans un commissariat de police d’Alexandrie par des policiers qu’il avait surpris en train de dealer de la drogue ;

• la parodie d’élections législatives en novembre-décembre 2010 (27 % de votants seulement) et la victoire sans partage du pnd, le parti du président, au prix d’un trucage qui ne cherchait même plus à se dissimuler

• l’attentat contre l’église d’Alexandrie dans la nuit du nouvel an 2011 (23 morts, des dizaines de blessés) qui faisait penser à ce qui se passe en Irak et allait très au-delà des tensions confessionnelles régulières que connaît l’Égypte.

 

Phase 1 : la Place Tahrir

Dix-huit jours qui ont tout changé

La pression populaire a obtenu le départ de Moubarak, au prix de 384 morts et 6 500 blessés.

C’est à la fois beaucoup et peu, rapporté à la population égyptienne et à l’importance de ce qui s’est passé. Sur la place Tahrir, pendant 3 semaines il n’y a eu aucun incident interconfessionnel : on a vraiment vu une Egypte Plurielles

Une explosion de joie

11 février. À 18h00, heure locale, la nouvelle tombe : Moubarak est parti. Le pays exulte. Dès l’annonce de la chute du raïs, dans toute l’Égypte, des foules descendent dans la rue pour célébrer, dans une liesse indescriptible, la fin d’un régime honni et dire enfin leur fait à tous ceux qui opprimaient le peuple : policiers, fonctionnaires corrompus, grosses fortunes. J’ai été le témoin de spectacles inoubliables place Tahrir: des familles entières juchées sur les chars pour remercier les soldats et se faire prendre en photo avec eux, des femmes voilées jusqu’aux yeux hurlant leur joie et brandissant des drapeaux égyptiens depuis les portières des voitures, des imams et des prêtres orthodoxes côte à côte, des jeunes, des vieux, des malades en fauteuil roulant, chantant, dansant. Il y avait de la fête, de la joie, du calme aussi : aucune bousculade, alors que la foule était énorme.

 

Phase 2 : l’Après Moubarak

Un acteur décisif : l’armée

Très tôt, dans le processus en cours, l’armée s’est montrée garante de l’ordre. Les policiers se sont discrédités en quarante-huit heures, disparaissant des rues après deux jours d’émeutes, pour revenir trois jours plus tard, souvent en civil et accompagnés de nervis du régime. Très vite, l’armée a fait savoir qu’elle ne tirerait pas dans la foule, gagnant la sympathie du peuple. C’est par milliers que des enfants se sont fait prendre en photo juchés sur un char. Excellente opération de relations publiques pendant que, dans l’ombre, le Conseil supérieur des forces armées (csfa) gère la transition. Comme toutes les armées des pays arabes, cette armée est très discrète sur elle-même. Mais chacun sait que l’armée jouit d’un statut à part et de privilèges exorbitants. Elle est présente dans tous les secteurs de l’économie (dont Misr Petroleum), et contrôle tout.

Mise en place de la vie politique

L’armée a mis en place de 2 gouvernements successifs : • le premier, constitué de proches de l’ancien régime • le deuxième avec des modérés. En Mars un referendum constitutionnel, organisé par l’Armée, a permis un « toilettage » de la constitution, où 43% de la population a participé (un record). L’armée égyptienne n’est pas un corps acquis aux vertus de la démocratie. Elle s’est bien gardée de lever l’état d’urgence en vigueur depuis 1981.

Un acteur à suivre donc.

 

Phase 3 : Le rôle des communautés

De nouveaux acteurs dans la vie du pays

Les médias étrangers répétaient à longueur d’émissions que les Frères musulmans étaient la principale force présente, n’hésitant pas, même, à filmer des musulmans en prière place Tahrir, histoire d’entretenir l’islamophobie de l’Occident. Or l’élément déclencheur et moteur fut la jeunesse, ceux que l’on a appelés la génération Facebook, en raison du rôle joué par ce réseau dans la mobilisation des foules. Les Frères musulmans égyptiens n’ont pas été moteurs, même s’ils ont été très présents et s’ils vont tenter maintenant de récolter les dividendes politiques car ils sont les plus préparés à une compétition électorale, mais nul ne peut dire le score qu’ils feront dans de véritables élections libres. Les salafistes, qui étaient très discrets sous Moubarak, sont « sortis du bois ». Mais beaucoup de musulmans ne veulent pas d’extrémistes en Egypte. Il ne faut pas s’affoler L’Eglise copte orthodoxe joue un rôle très politique, très communautariste. Le vrai enjeu de ce que nous vivons est la transition vers une alternative démocratique

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