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En Iran, les ouvertures calculées du régime à l’égard des chrétiens

Pour autant, la répression semble ne pas faiblir à l’égard des Églises protestantes et des convertis en général.

Les arrestations ont encore été nombreuses au moment de Noël.

« Merci @Pontifex pour vos vœux chaleureux de santé et de prospérité à mon peuple. J’espère que nous pourrons œuvrer ensemble pour un monde sans violence ni extrémisme. » Ce message au pape François, posté début novembre 2013 par le président iranien Hassan Rohani sur son compte Twitter, accompagnait la photo de sa rencontre avec le nouveau nonce apostolique en Iran, Mgr Leo Boccardi, venu lui remettre ses lettres de créance. Deux autres courts messages, publiés dans la foulée, soulignaient les « objectifs communs » de l’Iran et du Vatican et « la nécessité d’un dialogue entre islam et christianisme ».

Quelques semaines plus tard, à Noël, « les vœux au pape du président iranien », toujours via Twitter, ont fait le tour de la planète. Photographié dans une famille chrétienne, devant un sapin décoré de guirlandes, Hassan Rohani a dit son vœu que « Jésus-Christ, prophète de l’amour et de la paix, nous bénisse tous en ce jour ». Et souhaité un « joyeux Noël à ceux qui célèbrent cette fête, particulièrement les chrétiens iraniens »…

Ces signaux, adressés par le dirigeant d’un pays considéré comme l’un des plus répressifs en matière religieuse, ne sont pas passés inaperçus. D’autant qu’ils s’accompagnent, en ce 35e  anniversaire de la révolution khomeyniste, de diverses informations faisant état d’un contrôle moins étroit de la population : à Téhéran au moins, la censure semble s’alléger, les cheveux peuvent à nouveau dépasser du voile, le vernis à ongles a réapparu et des amoureux ont été vus se tenant par la main…

Des « gages » donnés à l’Occident

Les communautés chrétiennes historiques – assyro-chaldéenne et arménienne – ont toujours été reconnues en Iran, précise Anne-Sophie Vivier-Muresan, directrice adjointe de l’Institut de science et de théologie des religions de l’Institut catholique de Paris. « Si elles ne sont pas forcément très épanouies, elles bénéficient de la liberté de culte et de députés pour les représenter au Parlement. » Depuis leur heure de gloire aux XIVe et XVe  siècles, leur présence n’a, de fait, cessé de se réduire, complète Yann Richard, professeur émérite à la Sorbonne, au point de ne plus rassembler aujourd’hui que quelques milliers de fidèles, résultat d’une émigration galopante vers l’Amérique du Nord, et l’Australie notamment.

« Mais le gouvernement joue de leur statut pour montrer son engagement en faveur de la liberté religieuse, du dialogue », poursuit Anne-Sophie Vivier-Muresan, qui y voit autant de « gages » donnés à l’Occident. Élu en juin dernier, Hassan Rohani n’a cessé de changer l’image de son pays après huit ans de présidence du très outrancier Mahmoud Ahmadinejad. En septembre, il a été jusqu’à souhaiter une bonne fête de Roch Hachana « à tous les juifs et spécialement aux juifs iraniens »…

De son côté, l’Église latine a obtenu un permis de construire dans des délais très raisonnables et devrait ouvrir les portes d’une deuxième église à Téhéran au début de l’année prochaine. Sans être tout à fait dupe pour autant : « L’Église latine est vue comme celle des étrangers, qu’ils travaillent dans des ambassades ou des entreprises, explique un bon connaisseur de la situation. Le Vatican, avec qui les ayatollahs chiites dialoguent régulièrement, est vu surtout comme un allié pour briser le boycott qui pèse lourdement sur la population. »

Une ouverture qui a des limites

Prêtre français de l’Église chaldéenne, aujourd’hui interdit de séjour en Iran, le P. Pierre Humblot approuve. À ses yeux aussi, ces « paroles cordiales » du président de la République islamique sont destinées avant tout aux « habitants des pays à l’origine de ces sanctions », États-Unis en tête. Elles témoigneraient aussi d’une sorte de répartition des rôles entre un président, Hassan Rohani, incarnant  « l’ouverture »,  et un guide suprême de la Révolution islamique, l’ayatollah Ali Khamenei, garant lui de l’orthodoxie du régime…

D’ailleurs, cette ouverture a ses limites, et notamment celle qui sépare les Églises historiques des plus récentes, protestantes et composées surtout de convertis. Sur Internet ou par téléphone, les témoignages abondent aussi bien sur la soif spirituelle des Iraniens, le dynamisme évangélisateur de ces Églises, et sur la répression policière qui les vise : fermetures de lieux de culte, arrestations de fidèles ou de pasteurs jusque chez eux, suivies parfois de lourdes peines de prison… Au moins 300 auraient été arrêtés ces trois dernières années, selon le Réseau d’information des chrétiens perses.

« Sur ces “Églises de maison”, la pression ne faiblit pas », note Yann Richard, qui observe même un phénomène amplificateur : « Plus il y a de répression, et plus les conversions augmentent. » Cette étroite surveillance policière montre à quel point la question de « l’apostasie » – selon le vocabulaire islamique – reste brûlante. « C’est une chose de souhaiter joyeux Noël aux chrétiens, c’en est une autre d’accepter les conversions, résume Anne-Sophie Vivier-Muresan. Mêmes les clercs les plus éclairés et ouverts au dialogue n’y sont pas favorables. »

Anne-Bénédicte Hoffner pour la Croix


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