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Irak : Réfugié en France, Salaam n’envisage plus son avenir à Bagdad

Il y a dans ce regard encore juvénile une fêlure profonde. Quelque chose d’irrémédiablement détruit qui vous saisit au premier coup d’œil, et qu’aucun sourire ne parvient à dissiper totalement. En arabe, son nom signifie la paix. Lui a connu la guerre. Salaam, 28 ans, est l’un des 56 réfugiés irakiens accueillis par le gouvernement français au lendemain de l’attentat sanglant qui frappa la cathédrale syrienne-catholique de Bagdad, il y a tout juste un an.

Le jeune homme a l’air en forme. Soigné à l’hôpital militaire de Percy pendant « un mois et dix jours », rien ne laisse deviner les séquelles des deux opérations qu’il a subies après l’attaque. Ce jour-là, Salaam a perdu six de ses amis. Lui a plus de chance. Une balle dans la poitrine. Une autre dans le pied. Et cette main, criblée d’éclats, dont il a retrouvé l’usage à force de ténacité. Derrière sa moustache courte, taillée à la mode orientale, Salaam raconte tout calmement, avec des gestes souples, une inflexion feutrée qui tranche sur la rudesse de la vie qu’il dépeint.

De temps en temps, il se risque à prononcer quelques mots de français pour témoigner de cette « reconnaissance » qu’il dit vouer à sa terre d’accueil, même si notre langue lui semble encore si complexe à assimiler.

Des amis français

C’est d’ailleurs ce que vient de lui faire remarquer le recruteur qui l’a reçu à la Défense pour un stage. « Au moment de l’attentat, je préparais un master en informatique, explique Salaam. Quatre mois après mon arrivée, une famille française m’a permis de poursuivre mes études à l’Epita, une école d’ingénieurs. »

Comme d’autres rescapés, Salaam a décidé de rester en France. Il se sait menacé en Irak. L’Association d’entraide aux minorités d’Orient, qui avait organisé l’accueil des réfugiés, les a répartis dans plusieurs localités. Salaam, lui, a pris ses quartiers dans une résidence universitaire parisienne. De son épreuve, il parle assez peu. « Je suis le seul Irakien de l’école. Une telle histoire est difficile à partager. L’administration me soutient, et je me suis fait des amis français, qui m’invitent le week-end ou pendant les vacances. Nous travaillons ensemble… »

Sa confiance, Salaam dit surtout la tenir de sa foi. « Sans elle, je n’aurais jamais pu m’en sortir vivant. Pendant cinq heures et demie, j’ai baigné dans mon sang, étendu à côté de l’autel. L’un des prêtres a été exécuté sous mes yeux. Ces images continuent de m’habiter. Je ne pourrai jamais oublier. »

Angoisse pour sa mère, restée à Bagdad

Passionné de foot, il supervisait deux équipes de Bagdad avant son exil. Aussi, quand de jeunes Français ont eu l’idée d’organiser, il y a peu, un match France-Irak en soutien aux survivants, il y a retrouvé un peu de son insouciance. Grâce à son école, il a pu aussi s’essayer au karting, lui qui confesse un irrésistible attrait pour les belles voitures.

Mais il n’en oublie pas de soigner son âme, et fréquente la paroisse syriaque de Paris. Grâce à l’Œuvre d’Orient, il s’est rendu à Lourdes. Un groupe de jeunes l’a même convié à la béatification de Jean-Paul II, à Rome, puis aux Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) de Madrid.

Ces menus réconforts n’enlèvent rien à l’angoisse qui le taraude jour et nuit : surtout pour sa mère, malade et menacée, restée à Bagdad… Il aimerait la faire venir en France, mais son dossier piétine. Salaam n’envisage plus son avenir en Irak, même dans le Nord, pourtant réputé sûr. « Aucune perspective là-bas. »

L’évocation du printemps arabe, survenu depuis l’attentat, embarrasse Salaam. « Chez nous, la situation est très différente ; il n’y a pas eu de révolte, mais l’invasion américaine », glisse-t-il, tout en reconnaissant que l’exode des chrétiens d’Orient le met « en colère ». « C’est une perte pour la région. »

Le jeune Irakien caresse désormais le rêve de s’établir en France : « Dieu m’a offert une nouvelle vie. Mon devoir est de m’en sortir et de vivre en paix. Une fois que je pourrai assurer mon indépendance matérielle, et que mes proches seront à l’abri, alors je songerai à fonder ma propre famille. Mais je n’en suis pas là. »

François-Xavier MAIGRE pour La Croix


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