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J + 5 : "Laissez-nous en paix, chrétiens et musulmans, nous savons vivre ensemble" nous dit SB Bechara Rai

La journée débute par une rencontre avec le patriarche maronite  sa Béatitude Béchara Raï.

Il rappelle combien il est urgent que la communauté internationale déploie tous les efforts possibles pour que la paix règne en Syrie. Il salut d’ailleurs l’appel « salutaire » du pape François à prier et jeûner pour la Syrie le 7 septembre dernier, qui « a mené à la destruction des armes chimiques et à Genève II alors que nous redoutions une intervention occidentale ».

Sa Béatitude Bechara RAIIl a ensuite largement apostrophé l’Occident : « Laissez-nous en paix, chrétiens et musulmans, nous savons vivre ensemble. Nous préférerions une démocratie bien sûr, mais ça ne se fera jamais par la guerre, cela se fera en apprenant toujours mieux à vivre ensemble ». Béchara Raï a encouragé la délégation à rentrer en France « en disant la vérité sur nos pays et en priant pour eux. Les syriens ne sont plus pour ou contre le régime, ils sont tous pour la paix, il faut l’encourager ».

 

Un peu plus loin dans le Mont Liban,  rencontre avec des réfugiés syriens, chrétiens orthodoxes.

Un couple, qui préfère taire son nom, raconte son histoire : « en 2011 il y avait des groupes de paroles, des manifestations pacifiques. Le régime est très strict et n’a pas accepté que le peuple dise non, alors ces manifestations ont été matées et rien n’a été fait. Mais ce n’était pas la guerre, elle n’a commencée que lorsque des étrangers sont entrés en Syrie. Les oppositions n’étaient absolument pas religieuses à l’origine mais si une solution n’est pas trouvée très rapidement ça ne sera plus que cela ». Il traduit un sentiment assez général chez les réfugiés : « nous n’avons pas compris ce qui nous arrivait, personne ne voulait en arriver là, nous vivions bien ensemble malgré les problèmes réels, nos vies sont devenues un enfer. Je ne veux pas dire que le régime est mieux que les rebelles parce qu’il est largement critiquable, mais plutôt que les rebelles sont pires ». Il condamne également la position occidentale « qui tout à coup s’inquiète d’une attaque chimique sans jamais s’être inquiété auparavant que nous n’ayons plus de pain. Les ONG sont nombreuses à s’occuper de nous, mais les gouvernements occidentaux ne respectent pas les droits de l’Homme dans la région ». Ce couple aimerait rejoindre la Syrie mais sait que c’est impossible. Lui travaillait comme journaliste, affilié au ministère des médias, la menace vient donc pour lui du côté du régime comme de celui des rebelles, et sa vie est en danger, pourtant il n’a jusqu’ici que des refus pour des visas en Europe. « J’ai donc décidé de m’enregistrer au HCR (Haut Commissariat aux Réfugiés), et j’ai désormais le statut de réfugié politique, j’espère aller en Suède». Comme beaucoup cet exil est une déchirure, mais le retour est difficile à envisager « Si le gouvernement tombe, il faudra au moins cinquante ans à la Syrie pour se reconstruire, je ne serais probablement plus de ce monde ». Un peu plus tard une femme de 72 ans vient confier son désarroi à la délégation, l’évêque lui a demandé de l’argent qu’elle n’a pas, pour continuer à la loger. Elle s’est donc retrouvée dehors, aidée alors par la Caritas. Un exemple d’homme d’Église parfois loin de ses principes… « Je suis infiniment reconnaissante à ces gens qui m’ont aidés, je suis partie seule de Syrie après l’explosion de ma maison, aujourd’hui l’Allemagne m’a donné un visa, je vais pouvoir retrouver ma seule famille qui est ma fille ».

 

Père jésuite Ziad Hilal, Homs, Syrie (Photo: Jacques Berset)Retour à Beyrouth pour une rencontre avec le Jésuites Refugiees Service (JRS), largement présent dans la région et notamment en Syrie. Les volontaires présents sont majoritairement syriens, et aident à leurs tour les réfugiés. Là encore l’accompagnement est multiple : distribution de nourriture, de biens, aide financière, éducation, psychologie… Le père Ziad, jésuite de Homs est arrivé le matin même pour raconter son histoire « dans mon quartier, nous sommes entre l’armée régulière et les rebelles. Les questions sont nombreuses au sujet de l’argent que nous recevons. Les chrétiens se plaignent que nous aidions les musulmans, certains musulmans voient également d’un mauvais œil que nous aidions leurs frères. La situation est tendue, mais nous voulons montrer que l’avenir est possible dans un processus de réconciliation ». Il est las d’entendre l’occident défendre maladroitement les chrétiens d’Orient sans jamais vouloir la paix pour la Syrie « Nous voulons rappeler que nous sommes syriens, nous mourrons parce que nous sommes syriens, et nous voulons la paix parce que nous sommes syriens et que nous aimons notre pays. Nous ne sommes pas étrangers ou différents dans notre propre pays ». Les jeunes syriens présents confient avoir « l’impression d’être des jouets dans les mains des grandes puissances », l’un d’eux poursuit « le vrai problème était la liberté d’expression, mais nous ne voulions pas en arriver là. Nous vivions bien, nous étions heureux, nous avions la santé et l’éducation… Mais l’espoir reste car la majorité d’entre nous croit à la reconstruction, notre désir de retourner en Syrie est la preuve que nous sommes vivants et déterminés », une troisième conclut « ce sont les étrangers qui ont fait cette guerre, nous ne voulions pas régler les problèmes de la sorte ».

Lorsque la délégation demande si ces jeunes ont un message qu’elle puisse transmettre à son retour, Maya, une jeune libanaise de 29 ans répond: « On paie depuis trop longtemps les guerres de tout le monde. On veut la paix, on veut vivre ensemble et on sait le faire. Nous mettons toujours des années à nous remettre de ces guerres, je crois que ça suffit. Donnez-nous enfin la chance de vivre en paix, nous le méritons autant que vous ».

 

Avant de rejoindre la France, la délégation a pu participer à une rencontre avec de nombreuses ONG actives au Liban, mieux comprendre la situation, les enjeux et les besoins. L’occasion aussi de rencontrer Caritas Syrie et d’avoir quelques retours de terrain.

 

« Sur 23 millions de syriens, 6 sont touchés directement par les combats, et plus de 2 millions d’entre eux ont fui la Syrie. Mais partout ailleurs la pauvreté est galopante, l’industrie saccagée, le tourisme inexistant, les prix en hausse… beaucoup d’hôpitaux et d’écoles sont détruits » explique le directeur Pascal Kateb.

Le secteur humanitaire était très peu développé en Syrie, Caritas compte désormais une trentaine de salariés et plus de 100 volontaires. Comme la majorité des ONG présentes depuis le début de la guerre, ils  se sont développés et adaptés à une vitesse aussi surprenante qu’impressionnante.

L’avenir est difficile à envisager pour lui, comme pour ses collègues : « Le grand défi sera de reconstruire l’identité syrienne. Elle a été profondément blessée, et la Syrie ressortira nécessairement plus religieuse qu’avant ». Le plus gros problème reste pour eux l’éducation, qui est selon leur expérience, comme pour tous les réfugiés rencontrés dans la semaine « la plus grosse préoccupation parce que c’est l’avenir de la Syrie qui est en jeu ».

 

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