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La loi des Syries

 

 

Au lendemain du fracassant voyage d’Anouar Sadate en Israël, l’Égypte se voyait proprement expulser de la Ligue arabe, laquelle déménageait du Caire pour s’installer à Tunis. C’est du jamais-vu pourtant qui s’est produit à l’ouverture, hier, du Sommet arabe de Qatar : une opposition syrienne invitée à occuper, séance tenante, le siège d’un régime baassiste assiégé par la révolution certes, mais pas encore mort et enterré. Voilà bien un précédent qui non seulement accroît spectaculairement l’isolement de Damas, mais promet aussi de donner des insomnies à plus d’un tyran de la région.

Conséquente avec elle-même se sera montrée la Ligue arabe qui, passant outre aux réserves de l’Irak et de l’Algérie et à la trouble neutralité du Liban, reconnaissait récemment la Coalition nationale comme le représentant légitime du peuple syrien. Il reste qu’on n’a pas fini d’attrapper le vertige, au spectacle de ce singulier jeu de chaises musicales. Car malgré l’option retenue par l’organisation arabe, ce sont bel et bien deux Syries que donnent à voir, pour le moment, les réalités sur le terrain. Deux, et même plus, pourrait-on d’ailleurs renchérir, au vu, cette fois, des profondes divisions qui minent le camp des rebelles.

Ainsi, le chef (islamiste) de la Coalition nationale Moaz el-Khatib démissionnait à la veille même du sommet de Doha, apparemment pour protester contre l’élection de son rival, Ghassan Hitto, lui aussi islamiste mais d’un courant différent et appelé à présider un gouvernement en exil qui n’existe même pas encore sur le papier. C’est côte à côte que les deux hommes ont fini par savourer, à Doha, la consécration du sommet ; toutefois, plus d’une fraction combattante se sont dit non concernées par les luttes de préséance auxquelles se livrent ceux qu’elles qualifient de résistants en complet-veston.

Un tel éparpillement, dira-t-on, est propre à toutes les révolutions : mais il révèle aussi à quel point les violons sont désaccordés entre les divers parrains arabes et internationaux de la contestation syrienne. Central – mais passablement indéchiffrable aussi – est devenu, à cet égard, le rôle du minuscule mais richissime émirat du Qatar, qui, en termes d’influence, en vient même à tenir la dragée haute au colosse saoudien du Golfe. Mais là de même, de quel Qatar est-il question ? De l’allié des États-Unis auxquels il a concédé des bases militaires sur son territoire ? Sinon, du premier État du Golfe à avoir tenté l’expérience de relations commerciales avec Israël ? Serait-ce plutôt du seul royaume de cette région à entretenir néanmoins (et pêle-mêle !) d’excellentes relations avec l’Iran et avec sa succursale libanaise, le Hezbollah, comme avec le Hamas palestinien, dans le même temps qu’il finance à profusion les composantes islamistes des divers printemps arabes ?

Toujours est-il que le spectaculaire happening du Qatar ne s’est guère cantonné aux seules considérations politiques et diplomatiques. Dans son intervention, le tout nouveau représentant de la Syrie a réclamé le déploiement de missiles Patriot dans le nord de ce pays. Mais surtout, et tout en affirmant privilégier un règlement politique, les participants au sommet se sont donné licence d’apporter, individuellement ou en groupe, une aide militaire aux insurgés.

Comme il fallait s’y attendre, notre pays, fidèle à sa ligne officielle, s’est prudemment distancié de cette hasardeuse décision. Mais une fois encore, et pour rester dans la note de l’actuelle vague de schizophrénie, de quel Liban, le pro ou l’anti-Bachar, parle-t-on au juste ?

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb