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L'anniversaire de L'IDEO : Soixante ans de dialogue avec le monde musulman

Penchés au-dessus de textes arabes anciens, une poignée d’étudiants égyptiens en islamologie profitent du silence de la bibliothèque de l’Institut dominicain d’études orientales (Idéo), havre de paix dans le tumulte du Caire. Assis parmi eux, Adrien Candiard cherche avec ardeur à maîtriser l’arabe littéraire et dialectal. Labeur austère pour lequel il a pris un aller simple en septembre. Ce jeune dominicain français, islamologue en herbe, et déjà auteur de Pierre et Mohammed , pièce à succès sur l’amitié entre l’évêque d’Oran Mgr Pierre Claverie et son chauffeur musulman, assassinés en 1996 en Algérie, a pour objectif de se spécialiser sur Ibn Taymiyya, un théologien du XIVe  siècle. Méconnu en Occident, il est pourtant l’auteur le plus cité du monde musulman où il a inspiré les courants de l’islamisme, du salafisme au djihadisme. « Il me semble important que nous autres Occidentaux ne travaillions pas uniquement sur des auteurs soufis, proches de nous mais qui n’ont pas eu de postérité en islam…, explique-t-il. En revanche, si chrétiens et musulmans, nous arrivons à des approches partagées sur un auteur aussi sensible qu’Ibn Taymiyya, ce peut être l’objet d’une rencontre féconde. »

« L’intuition de l’Institut d’approcher l’islam par sa culture, en dehors de tout prosélytisme, reste d’une grande pertinence »

La démarche d’Adrien Candiard incarne parfaitement l’esprit de l’Idéo qui célèbre dimanche son 60e  anniversaire. « L’intuition de l’Institut d’approcher l’islam par sa culture, en dehors de tout prosélytisme, reste d’une grande pertinence alors que les relations entre islam et christianisme se sont raidies », confirme le P. Jean-Jacques Pérennès, son directeur. « Si les chrétiens commencent par discuter des questions religieuses avec les musulmans, très vite les sensibilités sont exacerbées et on aboutit à des désaccords. Alors que sur le plan culturel, le patrimoine commun est considérable. »

Dès ses débuts, l’institut, qui bénéficie de la proximité de l’université d’Al Azhar, haut lieu de l’islam sunnite dans le monde, affiche un grand souci de compétence. Ainsi son fondateur le P. Georges Anawati, qui se mit à l’école des cheikhs dans les mosquées pour tenter de pénétrer la pensée musulmane, fut un spécialiste connu de la philosophie arabe médiévale. Son Introduction à la théologie musulmane constitue une référence. Le P. de Beaurecueil, lui, devint un spécialiste éminent du soufisme, le P. Boilot, des mathématiques arabes, le P. Borlon, de l’astronomie arabe… Sans compter les apports plus récents de la douzaine de membres de l’Idéo, Emilio Platti, René-Vincent de Grandlaunay ou encore Jean Druel qui a soutenu brillamment sa thèse en décembre sur l’histoire de la grammaire médiévale des nombres en arabe.

Fleuron de l’Idéo, sa bibliothèque d’islamologie, inaugurée par le P. Anawati qui écumait les librairies et bouquinistes cairotes, compte aujourd’hui 155 000 volumes. Catalogue qui grossit chaque année de 2 500 nouveaux titres et 450 revues. L’institut vient de signer un partenariat avec l’Union européenne pour un « Projet des 200 ». Pendant trois ans, trois dominicains et quatre chercheurs juniors égyptiens s’attellent à présenter dans leur contexte 200 auteurs classiques du turâth, le patrimoine arabo-musulman du premier millénaire de l’islam. Travail rendu possible grâce à un autre projet mené par le frère René-Vincent du Grandlaunay, directeur de la bibliothèque : la mise en place d’une nouvelle version du catalogue AlKindi.

 « Nous sommes ici sans retour, pour partager la vie des Égyptiens, leurs espérances, leurs peurs, leurs soucis »

Malgré des coups de frein, sous Nasser notamment, puis avec le raidissement du monde islamique qui conduisit le P. Anawati à publier une tribune dans le Monde en 1982 appelant à « l’aggiornamento de l’islam », le dialogue entre l’Idéo et le monde musulman s’est poursuivi sans discontinuer. La transition politique en Égypte, après le « printemps arabe », n’a guère perturbé le travail des chercheurs. « En tant qu’étrangers, nous sommes tenus à une certaine réserve, nous n’avons pas à prendre part au débat politique ou aux manifestations, mais nous sommes insérés dans de nombreux milieux », souligne le P. Pérennès. Pendant les événements, les dominicains ont même hébergé plusieurs étrangers isolés et apeurés. « Nous sommes ici sans retour, pour partager la vie des Égyptiens, leurs espérances, leurs peurs, leurs soucis », poursuit le dominicain.

Fidèles à une philosophie de la rencontre malgré les crispations de tous côtés, les dominicains de l’Idéo tentent de répondre aux questions des groupes et des visiteurs de passage sur l’islam. Ils assurent aussi chaque année une session d’introduction à l’islam pour les frères étudiants du couvent de Lille et fait aussi bénéficier de son expertise le Vatican. Plusieurs dominicains faisaient partie de la délégation officielle qui visitait Al-Azhar avant que ces rencontres ne soient suspendues.

Au fil des années, des relations de confiance se sont tissées avec les autorités islamiques et le Patriarcat copte

Dans l’héritage direct de son fondateur, le P. Anawati, esprit brillant à l’extraordinaire cordialité qui avait ouvert la maison à tous, universitaires, écrivains, diplomates, l’institut s’appuie, de fait, sur les liens d’amitié avec ses étudiants, des personnalités musulmanes, même parfois des plus fondamentalistes… Au fil des années, des relations de confiance se sont tissées avec les autorités islamiques et le Patriarcat copte. Le grand imam d’Al Azhar Al Tayyeb et le patriarche Tawadros ont d’ailleurs annoncé leur présence dimanche 9 juin au couvent de l’Abbassiah.

 

Source : La-Croix.com