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"Le choix de la vie", un conte oriental par Mgr Mirkis, archevêque de Kirkouk en Irak

« Joseph, se levant, prit avec lui l’enfant et sa mère, de nuit, et se retira en Égypte. Et il y resta jusqu’à la mort d’Hérode. » MATTHIEU 2, 14-15. « Joseph, se levant, prit avec lui l’enfant et sa mère, de nuit, et se retira en Égypte. Et il y resta jusqu’à la mort d’Hérode. » MATTHIEU 2, 14-15

Sur la fuite en Égypte, il y a l’histoire racontée par saint Matthieu (2, 13-23) et il y a celle que j’ai apprise pendant mon enfance. On pourra lire cette fuite de multiples façons. On dira que c’est une « typologie » de l’exode du peuple de Dieu Israël, et Jésus est le nouvel Israël, sauvé par « un autre » Joseph, saint et juste. Mais je voudrais partager cette histoire en puisant dans le fin fond de ma mémoire. Ma grand mère me l’a racontée quand j’étais très petit, à Mossoul, ville de ma naissance et de mon enfance. Pour elle, qui était une vraie conteuse, la fuite en Égypte était bien plus qu’un simple épisode dans la vie de Jésus. Elle disait que cet événement avait été essentiel pour toute la suite. Elle savait le décrire avec des détails tellement précis que nous étions suspendus à ses lèvres pour ne pas en perdre une miette. L’histoire qu’elle racontait est restée gravée dans ma mémoire, indélébile. La voici : Joseph, Marie et Jésus fuyaient vers l’Égypte avec leur âne pour unique bien. Sur la route, deux brigands étaient postés. L’un s’appelait Titus et l’autre Dimacus, et ils dévalisaient tous ceux qui passaient sur ce chemin. Mais en voyant cette femme sur un âne, Titus, pris de pitié, ne voulut pas les arrêter. Il dit à son compagnon : « C’est vrai que je suis un brigand, mais j’ai quand même un coeur ! Et puis cette caravane est pauvre, cela ne nous rapportera rien ! » L’autre s’entêtait et voulait au moins leur prendre l’âne. Ils se disputèrent, à tel point que Titus paya sa ceinture pleine de sesterces pour briser le contrat qui les liait. Et ils se sont ainsi séparés « à cause de la Sainte Famille ». Mais 30 ans après, pris par la police romaine, ils se sont retrouvés, pour être crucifiés. Et les voilà encadrant un fameux Jésus, supplicié avec eux. Ce sont eux les deux larrons ! Jésus reconnaît le bon Titus et lui dit : « Aujourd’hui, tu seras avec moi au Paradis ! » Dieu n’oublie jamais une bonne action.

Bien sûr que cette « broderie » imaginaire autour du texte biblique diffère du texte de saint
Matthieu, qui ne dit d’ailleurs pas grand-chose sur cette fuite. Mais c’est en Orient que la Bible a été composée, où les traditions orales ont eu une place prépondérante dans le catéchisme familial.
Elles sont parvenues jusqu’à nous, drainant de multiples imaginaires. Ceux qui les racontaient n’étaient pas des théologiens (comme la plupart des apôtres), mais ils vivaient de ces histoires, s’en nourrissaient et les transmettaient pour sauvegarder le dépôt de la foi. La foi, pour eux, n’est pas un mot, mais une immense richesse gardée par les hommes, les femmes et les enfants, elle touche tous les âges, et nous, les enfants, nous y voyions une logique nécessaire pour comprendre et elle faisait notre joie. Certains pourraient voir dans cette lecture un fatalisme qui déformerait le message transmis pas l’Évangile de Matthieu.

Au contraire, elle montre que le miracle naît dans les coeurs des plus grands pécheurs et que des hommes sont prêts à se sacrifier pour en sauver d’autres. Et si aujourd’hui les nouvelles du Proche-Orient qui nous parviennent sont choquantes, d’autres, que personne ne relate, se passent dans l’intimité des coeurs. Ce sont de petites décisions qui font
basculer tout une vie. Ces histoires, j’en connais beaucoup : des voisins à Mossoul qui ont caché des chrétiens ou des yézidis, ils les ont aidés à fuir Daech, ou même ce professeur de l’université de Mossoul qui s’est insurgé contre les exactions commises par les djihadistes à l’encontre des chrétiens et des yézidis. Il a été abattu… C’est un juste parmi les nations. Comme Titus, il a donné ce qu’il avait de plus cher : sa vie. Le Seigneur, certainement va lui dire : « Aujourd’hui, tu seras avec moi au Paradis. »

INTERVIEW LD

Yousif Thomas Mirkis, archevêque de Kirkouk et de Sulimaniya, en Irak.