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L’Église des Arabes, une responsabilité spéciale

Sa Béatitude donne une conférence ce soir à Paris en l’église St Julien le Pauvre sur le thème : « l’Église dans un Moyen-Orient divisé : l’exigence de la réconciliation unique planche de salut ». Pour tout renseignement

 


L’expression « Église » des Arabes signifie en raccourci que l’Église de Jésus qui vécut et qui vit en milieu arabe se trouve dans une relation profonde avec le monde arabe, avec ses douleurs et ses espoirs, ses joies et ses souffrances, ses difficultés et ses crises. C’est l’ Église de l’Emmanuel, une Église avec et une Église pour, avec la société arabe et dans la société arabe. Sans oublier ses racines arabes et son arabicité à travers l’histoire et la géographie, ce qui est le plus important ne se trouve pas dans l’expression l’arabicité de l’Église, mais dans la mission qu’elle a dans la société arabe. Et la réalité est que cette société arabe où vit l’Église arabe, plantée dans le sol arabe et semée dans la profondeur de son histoire et de sa géographie, la réalité est que cette société arabe est musulmane dans sa majorité. Au sein de cette société les chrétiens constituent 15 millions sur un total d’environ 260. C’est pourquoi l’Église des Arabes est l’Église de la société arabe, l’Église du monde arabe, comme elle est aussi l’Église de l’islam, l’Église de la société musulmane. Une Église qui vit dans ce monde arabe et musulman, qui interagit avec lui, qui souffre et qui jouit avec lui, qui construit et qui espère, qui croit et qui aime. Cette Église est vraiment l’Église de l’Emmanuel, l’Église avec et l’Église pour.

L’Église de l’orient arabe, l’Église de l’islam se met en cela à l’école de son Maître, le Seigneur Jésus, l’Emmanuel, le Dieu amour, le Dieu de la rédemption, du salut et du don, qui définit le but de Son incarnation et de Sa naissance en ces termes : « Le Fils de l’homme lui-même n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude » (Mc 10,45). Et encore : « Moi je suis venu pour que les brebis aient la vie et l’aient en abondance » (Jn 10,10). Saint Paul ajoute : « Car le Christ n’a pas recherché ce qui lui plaisait (Rm 15,3) et encore : « Nul d’entre nous ne vit pour soi-même » (Rm 14,7). Et Jésus nous a dit : « Vous êtes la lumière du monde ! Ainsi votre lumière doit-elle briller aux yeux des hommes pour que, voyant vos bonnes œuvres, ils en rendent gloire à votre Père qui est dans les cieux » (Mt 16).
Ces versets sacrés représentent pour chaque chrétien une invitation précise à sortir de lui-même et de son isolement, de son monde : « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père » (Gn 12,1) et de tout ce qui pourrait constituer un obstacle entre lui et l’autre, de façon à pouvoir le rencontrer pour être lui aussi Emmanuel… un homme avec et pour.

Le chrétien doit se dépasser soi-même, il doit dépasser son Eglise et sa personne pour être « catholique» pour de vrai (c’est-à-dire universel). Le terme Eglise des Arabes et de l’islam exprime un des traits de l’Eglise dans le Credo : « Je crois à l’Eglise, une, universelle (catholique) », cette Eglise qui regroupe toutes les cultures, civilisations, langues, nations et ethnies.

En tant que chrétiens nous avons un rapport profond avec les musulmans des pays arabes : nous partageons la chair et le sang, l’ethnie, la nationalité et les tribus, la culture, la civilisation et les coutumes.
Nous sommes une Eglise qui vit quotidiennement depuis 1400 ans côte à côte avec l’islam dont elle est profondément influencée. Au long de l’histoire notre Eglise a partagé avec ses compatriotes musulmans d’importantes responsabilités nationales, sociales et même militaires. L’islam est présent dans toutes nos sociétés, nos familles, nos intérêts, nos congrès, nos études, nos prédications et nos conférences, nos analyses et nos projets. Toi, en tant que chrétien, tu ne peux pas passer à côté de ton frère musulman dans cette patrie comme si celui-ci t’était étranger et ne te concernait pas ! Tu es avec lui dans un dialogue existentiel, quotidien qui s’adresse au destin.

Eglise de l’islam signifie une Eglise dont l’histoire du présent et du passé, de même que celle de la culture, est très étroitement liée à l’islam et aux musulmans. Nous connaissons tous la très grande quantité d’études sur l’islam que les chrétiens locaux ont produites, sans vouloir mentionner la masse énorme des œuvres écrites par des hommes d’études occidentaux sur l’islam. Le terme Eglise de l’islam indique donc le lien de l’Eglise avec l’islam, au niveau de l’existence, de la conscience, du destin, de la civilisation, de la spiritualité et du soin pastoral. Eglise de l’islam exprime la responsabilité particulière que nous avons envers l’islam et les musulmans.

Eglise de l’islam ne signifie absolument pas la communauté de musulmans qui embrassent le christianisme et pas non plus la communauté de chrétiens qui se prodiguent pour amener les musulmans au christianisme. A mon avis et selon l’analyse que j’en fais, cette expression est très éloignée de l’idée de prosélytisme sous toutes ses formes. Cette expression est pour moi synonyme d’amour et de respect, de collaboration et de solidarité, d’optimisme, de dialogue, de convivialité, de compassion et de soutien réciproque, de travail commun dans nos pays arabes en vue de construire un monde meilleur, d’édifier la civilisation de l’amour.

Il est nécessaire que ces convictions soient partagées par nous tous, fils et filles de notre Eglise patriarcale (et en somme de tous les chrétiens). Elles doivent constituer la Magna Carta de notre spiritualité, de nos enseignements dans les instituts du clergé pour la formation des prêtres, des religieux et religieuses, et de l’enseignement dans nos écoles et nos instituts, dans toutes les fondations religieuses, culturelles, sanitaires, professionnelles et sociales. Ces convictions ne sont ni une libre option, ni un choix stratégique lié aux conditions particulières d’une certaine situation politique ou sociale. Ces convictions sont un facteur essentiel pour la découverte du sens de notre vocation, de l’essence de notre mission de chrétiens gréco-catholiques ou, en général, de notre mission dans notre société arabe du Moyen-Orient.
En ce qui me concerne c’est là une condition vitale et fondamentale pour limiter l’émigration chrétienne qui va en s’aggravant dans nos églises.

Il nous faut partir de notre Eglise gréco-melchite pour être Eglise de l’Emmanuel dans la société humaine, ici dans nos pays arabes et dans les pays de la diaspora du monde entier. Il est dans nos vœux que notre Eglise soit et reste une Eglise sans limites, une Eglise aux horizons lointains, aux larges idées, une Eglise de l’ouverture et du progrès, une Eglise « avec » et « pour ».

Comprendre vraiment ce que cela signifie que Jésus est appelé Emmanuel, comprendre le sens de l’Eglise qui est au service des hommes, de l’Eglise des Arabes et de l’islam, comprendre toutes ces expressions et les réalités qu’elles indiquent est d’une extrême importance. Car si le chrétien oriental, le chrétien arabe, égyptien, syrien, libanais, jordanien, soudanais, ne comprend pas le sens du nom de Jésus et pas non plus celui de son nom même de chrétien, s’il ne comprend pas le sens d’avoir été baptisé au nom de Jésus, et d’être appelé chrétien en relation avec Christ Jésus, s’il ne comprend pas le fait d’être héritier de ceux qui à Antioche furent appelés chrétiens pour la première fois (Ac 11,26), s’il ne comprend pas ce nom et cette réalité, s’il ne perçoit pas ce rôle et cette mission, il ne se rend pas compte qu’il ne vit pas pour lui-même, cet homme, même s’il se dit chrétien, il a déjà perdu une grande partie de la valeur du christianisme, de son baptême, de sa confirmation, des sacrements et de son appartenance ecclésiale. Il est ainsi exposé au souffle des vents, il est un émigrant en puissance.

De même qu’au début de l’islam les chrétiens jouèrent leur rôle surtout en traduisant l’héritage grec en arabe, ceux-ci doivent jouer aujourd’hui un rôle culturel aux côtés de leurs frères musulmans.
Mon espoir, mon désir, mon souhait, ma prière et ma supplication, c’est que les musulmans agissent avec leurs frères chrétiens. Ce que je fais en tant que Patriarche et ce que font les autres patriarches et mes confrères les évêques, les moines et les religieuses, les différentes associations pour conserver une présence chrétienne dans la région se trouve sur un des plateaux de la balance.

Le soutien que donnent mes frères musulmans à ce projet, le « projet pour la présence chrétienne dans les pays arabes », se trouve sur l’autre plateau, et c’est le plus important.
C’est du reste à cela que nous invitent nos frères musulmans intellectuels et éclairés.

* Note du traducteur : Toutes les citations bibliques présentes dans le texte sont tirées de « La Sainte Bible » de l’Ecole biblique de Jérusalem, Les Editions du Cerf, Paris 1956