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Les chrétiens de Jordanie, à l’écart des tempêtes

« En Jordanie, les chrétiens sont des citoyens, ils ne sont pas considérés comme des dhimmis (1) », affirme haut et fort le P. Hanna Kildani. Ce prêtre, responsable du couvent latin situé à Marj Alhamam, dans la banlieue d’Amman, est un Jordanien chrétien « de souche », né à Karak en 1955 (2).

Auteur d’une histoire de la « Modernité chrétienne en Terre sainte », cet érudit est doublé d’un bâtisseur. Grâce à lui et aux dons de la communauté jordanienne, une église de taille majestueuse est en construction, à quelques mètres de là. Mais le chantier, déjà bien avancé, est interrompu, faute d’argent. « Il nous manque un million de dollars » , explique Hanna Kildani, qui ne désespère pas de les trouver auprès de ses bienfaiteurs.

Le royaume hachémite fait rarement la « une » des journaux occidentaux. Certes, des manifestations se déroulent régulièrement à Amman depuis janvier 2011, mais elles sont d’une ampleur nettement moindre que dans les pays voisins touchés par le « printemps arabe ». Les opposants réclament des réformes politiques et économiques ainsi que la fin de la corruption. La personne du roi n’est pas attaquée directement, mais ses proches, oui.

Tenue d’élections législatives

Afin de montrer que le message a été entendu, le roi Abdallah II a nommer, au début du mois de mai, le gouvernement de Fayez Tarawneh, qui avait déjà été premier ministre à la fin des années 1990, et lui a donné pour mission d’adopter les réformes nécessaires à la tenue d’élections législatives d’ici à la fin de l’année. « La Jordanie est dans une phase sensible et critique, mais il n’est pas impossible de la surmonter, a indiqué le nouveau chef de gouvernement. Le “printemps jordanien” sera toujours vert, et non rouge. »

« Il est paradoxal qu’un gouvernement conservateur ait été désigné pour mener et promouvoir des réformes, a toutefois commenté Oreib Rintawi, dirigeant du Centre d’études politiques Al-Qods, basé à Amman. La population va avoir du mal à croire qu’il s’agit d’un processus authentique de réforme. Je pense que la Jordanie va connaître dans les mois qui viennent un âpre débat entre le gouvernement et l’opposition, et notamment les islamistes. »

Dans ce petit pays, les chrétiens vivent dans une atmosphère sereine, à l’inverse de leurs voisins irakiens (dont un grand nombre, venus de Mossoul et de Bagdad sont réfugiés en Jordanie) et syriens, qui sont soumis à des pressions très fortes. Les chrétiens seraient entre 3,5 à 4 % de la population du royaume. Ils disposent de neuf sièges réservés, sur 80, au Parlement. Deux chrétiens sont appointés par le roi pour siéger au Sénat. Nombre d’entre eux occupent des postes de ministres, depuis 1947.

Liberté religieuse garantie

Le Royaume garantit la liberté religieuse pour les minorités, chrétienne, druze ou chiite. Cet état découle de la Constitution du 1er janvier 1952, voulue par le roi Abdallah Ier et promulguée par son fils Talal. Celle-ci proclame que « l’islam est la religion d’État » (art. 2) et que « les Jordaniens sont égaux devant la loi, sans discrimination de race, de langue, ni de religion en ce qui concerne leurs droits et leurs devoirs » (art. 6).

Le texte précise que « l’État garantit la liberté (…) de culte (…), dans la limite de sa compatibilité avec l’ordre public ou la moralité » (art. 14). Même si la Loi fondamentale a longtemps été suspendue au profit de l’état d’urgence (1967-1991), ces principes de tolérance ont toujours été observés par les pouvoirs publics jordaniens.

Économiquement, les chrétiens contrôleraient un quart de l’économie du pays. « Une minorité aisée, respectée », explique le docteur Kamel Abu Jaber, directeur de l’Institut royal jordanien d’études interreligieuses, à Amman. Lui-même chrétien, il a été précédemment ministre de l’économie et ministre des affaires étrangères, à l’époque des pourparlers de paix israélo-palestiniens de la conférence de Madrid de 1991. « Nous sommes des chrétiens jordaniens de souche », autrement dit des Bédouins, insiste-t-il, alors que cette communauté est souvent assimilée aux Palestiniens, arrivés en masse en 1948, puis en 1967. « Et nous sommes des Arabes acharnés », ajoute-t-il.

Ecoles chrétiennes

Kamel Abu Jaber prend soin de préciser que les Églises d’origine étaient orthodoxes, catholiques et orientales (syriennes, chaldéennes, assyriennes, arméniennes). Une mise au point nécessaire, alors que les Églises évangéliques, venues des États-Unis, commencent à s’installer et « ne sont pas très bien vues » . Les chrétiens n’ont pas de raison de quitter la Jordanie, si ce n’est dans l’espoir d’accéder à de meilleures opportunités professionnelles. Élevés dans des écoles chrétiennes fréquentées aussi bien par les chrétiens que les musulmans, ils vont souvent poursuivre des études supérieures à l’étranger, afin d’augmenter leurs chances de trouver un emploi, dans les pays anglophones ou dans les pays du Golfe. Les Jordaniens chrétiens regardent toutefois avec inquiétude les événements de Syrie. « La situation est très grave, lâche Kamel Abu Jaber. Après la fuite des chrétiens d’Irak, le départ des chrétiens de Palestine, que va-t-il advenir de ceux du Liban, et surtout de ceux de Syrie, si d’aventure le régime de Bachar Al Assad devait tomber ? » Dans le bouleversement créé par les révoltes arabes, il souligne l’importance du rôle de l’Institut royal jordanien d’études interreligieuses, qui entend « promouvoir le dialogue entre les trois religions du Livre ». Pourquoi ne pas prendre la Jordanie comme un exemple de « pluralité sociale et religieuse, une mosaïque du Proche-Orient ? » , suggère-t-il.


Des foyers chrétiens bien enracinés

– Les chrétiens de Jordanie représentent entre 3,5 % et 4 % de la population. Les orthodoxes orientaux sont les plus nombreux, mais il y a également des catholiques orientaux et latins, des anglicans et des protestants. Ils sont essentiellement établis à Amman, Salt (nord), Madaba (sud) où une université catholique a ouvert ses portes en 2011. Une communauté ancienne subsiste également à Karak. Shatana (nord) est un village intégralement catholique. – Le royaume se veut à la pointe du dialogue islamo-chrétien. Trois ans après une première rencontre à Rome, c’est là, à Al-Maghtas, au sud d’Amman, que s’est déroulée en novembre 2011 la seconde édition du Forum islamo-catholique, sur le thème : « Raison, foi et personne humaine, perspectives chrétiennes et musulmanes ». Cette rencontre a réuni des clercs, des savants et des penseurs de 18 pays à l’invitation du prince Ghazi Bin Muhammad Bin Talal. La délégation catholique était conduite par le cardinal Jean-Louis Tauran, président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux. (1) Dans la tradition musulmane, le statut de « dhimmi » prévoit à la fois la protection et l’infériorité juridique des chrétiens et des juifs. (2) Archevêché sous l’empire byzantin, Karak fut un centre urbain important au moment des croisades et de la dynastie des Ayyoubides. Elle abrite le célèbre château des croisés, le « krak des Moabites ».

Agnès ROTIVEL (à Amman)

Source La Croix