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LIBAN : « Les chrétiens du Liban sont devenus comme des bougies décoratives »

 

Nous ne sommes pas au Brésil pour voir le pape, mais pour rencontrer le Christ, c’est vrai. Reste que la vue de son vicaire réserve aussi pas mal de surprises.

Le flot de pèlerins qui se déversait jeudi sur le boulevard et la plage de Copacabana avait quelque chose d’effrayant. De fascinant et d’effrayant. Le Christ aussi provoquait des phénomènes de foule, et l’on se pressait tellement autour de lui que même sa mère ne parvenait pas à l’approcher. Mais là, ce n’est pas par centaines ou par milliers, mais par centaines de milliers qu’ils faisaient rempart, formant notamment une incroyable guirlande bigarrée des deux côtés de l’espace délimité par des grilles que devait emprunter la papamobile. Mais au temps du Christ, il n’y avait pas un service d’ordre intimidant pour canaliser les gens et vous dire où vous pouviez passer et où il n’était pas question, mais absolument pas question, de passer. Il a fallu inventer le Vatican pour ça.

Carrure de lutteur, definitely. Ou plutôt d’ancien lutteur qui a gardé de ses années de force son calibrage et sa façon de se déplacer. Le regard attentif, parfois scrutateur. Le visage avenant, le sourire paternel. Braquées sur son visage, les caméras haute définition ne laissent rien passer, pas même le geste furtif avec lequel il efface un sillon humide sur sa joue. Aucune superstar ne devrait rêver d’égaler en popularité ce paysan en bottes.

« Mettre du sel sur le plat »
C’était hier le premier rendez-vous de Bergoglio-François avec les jeunes pèlerins des Journées mondiales de la jeunesse (JMJ). Il se tient à Copacabana, autour du podium géant dressé sur les lieux et dont l’image est relayée par une dizaine d’écrans géants installés le long de la plage. Le rendez-vous est marqué d’étonnantes scénographies évoquant la découverte de l’Amérique, la christianisation du « continent de l’espérance », la trouvaille inattendue de trois pêcheurs du Sud-Est qui remontent dans leur filet une statuette de la Vierge, à l’origine de l’immense sanctuaire d’Apparecida, etc. Le message du pape est simple : il nous faut « accueillir Celui qui nous accueille » et « mettre de la foi dans nos vies comme on met du sel sur un plat ».
La pluie ayant noyé l’immense champ qui lui était réservé, le grand rendez-vous du pape avec les jeunes, samedi soir, a été délocalisé vers Copacabana, ainsi que la messe de clôture, en plein air. C’est treize kilomètres de marche en moins, et autant d’excuses en moins pour ne pas sortir de sa « zone de confort », affronter la foule fatigante qui vous oblige à zigzaguer en permanence, ne pas s’épargner l’effort des longues heures d’attente, sans compter le sommeil à même le sol et la nuit quasi blanche qui s’annonce. Mais enfin, pour ces deux derniers détails secondaires, on verra…

« Tiédeur »
L’avant-midi, pendant que le pape visitait une favela (une « quarantina »), de Rio, une seconde matinée de catéchèse se tenait à Notre-Dame du Liban. C’est Mgr Georges Aboujaoudé, un homme tout rond et pétri de bonté, qui la donne. Le thème n’a pas changé : « Être disciple du Christ. » Les conditions particulières de la présence chrétienne en Orient sont évoquées, ainsi que l’éternelle question des rapports avec l’islam.
Il est question aussi des conditions de l’évangélisation du Mont-Liban, un thème mal étudié, ainsi que de la conversion au christianisme de grandes familles libanaises comme les Abillama, Chéhab ou Harfouche. Mais il est difficile à une Église sur la défensive de purifier sa mémoire.
En contraste avec ce passé peut-être un peu idéalisé, Mgr Aboujaoudé déplore la « tiédeur » présente des chrétiens. On construit des écoles chrétiennes sans chapelle, se plaint-il, et les Philippins et hindous nous ont dépassés en zèle apostolique dans les pays du Golfe.
L’évêque demande aux jeunes de ne pas ressembler à des « bougies décoratives », savamment moulées, parfumées et colorées, mais que l’on n’allume jamais, et qui se décolorent avec le temps et se couvrent de poussière.

Repeupler l’Irak
Hommage est enfin rendu aux centaines de chrétiens disparus, enlevés et martyrisés en Irak, et notamment à une centaine de prêtres et d’évêques assassinés. Enlevé et revendu de groupe en groupe, qui rançonnent sa liberté sans tenir parole, et enfin miraculeusement relâché au terme d’une quarantaine de jours grâce à des interventions de personnes haut placées, le P. Saad Serop Hanna est en pèlerinage avec le groupe irakien. Prêtre à Bagdad, ses parents et tous ses frères et sœurs ont quitté l’Irak. Il est resté pour le repeupler spirituellement.

En privé, un pèlerin rapproche ces enlèvements de celui des évêques grec-orthodoxe et syriaque-orthodoxe d’Alep. « Maintenant, les deux Églises doivent prier pour l’un et l’autre, alors qu’il n’y a pas longtemps, les orthodoxes jetaient encore un regard condescendant vers ces “jacobites de syriaques ”! », souligne-t-il. Il faut, comme ça, un malheur, parfois, pour surmonter nos préjugés.

Source : L’Orient le Jour