• Actualités

Les chrétiens du Liban toujours debout (2e partie)

L’émigration et la division : deux écueils de taille

En premier lieu l’émigration. La communauté s’amenuise. Chaque année, poussés par la crise et le besoin de gagner leur vie, les jeunes Libanais émigrent, notamment les chrétiens qui comptent un grand nombre de diplômés. Mais s’ils émigrent en masse vers l’Amérique du Nord (Etats-Unis, Canada), L’Europe et dans les Emirats du Golfe, les Libanais reviennent régulièrement sur leur terre natale. Attachés à leur pays, fiers de leurs racines, les chrétiens gardent le contact, font construire des maisons, reviennent pour passer les fêtes (Noël est sacré pour les familles), ou pour se marier. Les plus âgés y finissent leurs jours. Aujourd’hui, l’émigration n’est plus synonyme de coupure comme elle le fut naguère. Quand au début du siècle dernier, un chrétien quittait son village, c’était pour toujours. L’accessibilité et la rapidité des moyens de communication, la généralisation des transports aériens, les nouvelles technologies et les réseaux sociaux permettent de maintenir un lien continu.

Autre problème majeur : Les affrontements politiques, entre les quatre grandes figures politiques chrétiennes. Samir Geagea Chef des Forces libanaises et Amine Geymayel, patron du parti Kataëb d’une part ; Michel Aoun, fondateur du Courant patriotique libre, associé à Sleimane Frangié, mentor des Marada, au Liban nord, de l’autre. Les premiers soutiennent les « Forces du 14 mars », (sunnites), les seconds sont les alliés du Hezbollah (chiite) dans le « Parti du 8 mars ». Une division et des alliances surprenantes qui dépassent le « binôme confessionnel habituel chrétiens contre musulmans ».

Pour une partie des chrétiens (les aounistes) cette rivalité annonce le signe d’une maturité politique, dans la mesure où elle fait exploser les blocs confessionnels. L’argument est pourtant fortement contesté par les autres (les « Geageaïstes) qui craignent qu’en s’alliant au Hezbollah, – Un Etat islamique dans l’Etat libanais- le général Aoun jette délibérément les chrétiens dans les bras de l’Iran, bradant ainsi l’indépendance du Liban. C’est sur cette division, que porte aujourd’hui la véritable rivalité au sein du camp chrétien.

Une grande vitalité malgré tout

Malgré ces deux écueils, les chrétiens libanais qu’on disait pourtant morts restent très présents. Même si leur nombre a diminué … Mais au fait, combien sont-ils ? Difficile à dire. La dernière statistique officielle datant de 1932 ( période du protectorat français). Le moindre chiffre avancé déclenchant l’hystérie dans les communautés, le gouvernement préfère du reste ne pas se risquer à l’exercice. Selon les estimations, les chrétiens libanais compteraient, selon les sources, entre 800 000 et 1,1 million fidèles. 25 à 30 % de la population. Loin derrière les musulmans plus de 60 à 70 % (sunnites, chiites, druzes et alaouites). Mais s’ils sont moins nombreux que les musulmans, ou même que leurs frères chrétiens d’Egypte (entre 6 et 10 millions) ou de Syrie (2 millions), les chrétiens libanais, concentrés surtout entre le nord de Beyrouth et le sud de Tripoli, incarnent une véritable force, avec laquelle il faut compter. Une exception dans ce Proche-Orient et dans le monde arabe, où les chrétiens ne sont que tolérés, citoyens de seconde zone (dhimmis), noyés dans les majorités musulmanes.

Pour mesurer la force de cette présence, il suffit de se promener dans la zone géographique où ils vivent. A Jbeil, l’école des frères maristes symbolise la vitalité des institutions chrétiennes éducatives, point fort des Eglises libanaises. Gisèle Khoury la pâtissière, qui tient boutique face à l’établissement assure que « même les familles bourgeoises musulmanes n’hésitent pas à inscrire leurs enfants dans les écoles chrétiennes, sachant que l’enseignement y est de qualité supérieure.» Une université jésuite comme Saint Joseph à Beyrouth a formé les plus grandes figures intellectuelles, politiques et scientifiques non seulement du Liban mais du monde arabe. Polyglottes, les chrétiens libanais, qui ont souvent du mal à construire chez eux un Etat uni et citoyen, bâtissent fréquemment des empires, loin de leurs bases.

A Batroun le maronite Jean Nakhoul, enseignant, fait remarquer, que dans les villages chrétiens, autour des Eglises, les jeunes organisent des activités nombreuses. Les associations chrétiennes sont légions et dynamiques. « Les jeunes générations n’ont plus envie de s’affronter comme leurs aînés, » assure Melhem Khalaf, un juriste chrétien, fondateur de l’Association « Offre Joie » qui regroupe autour de chantiers de restauration des chrétiens et des musulmans, qui mettent en pratique l’art du « Vivre ensemble »… « Si le dialogue interreligieux est un leurre, affirme de son côté Mgr Georges Saadé, l’évêque maronite de Batroun, la convivialité est possible. » Aurait-il tenu ce même discours dans les années 80 ?

Les rapports avec l’islam s’améliorent aussi nettement. Il suffit d’entendre des intellectuels chiites comme le sociologue Séoud al Maoula déclarer dans les médias que « sans les chrétiens le Liban n’a aucun sens » ou le sunnite Mohamad as Sammak, représentant du mufti de la République, répéter qu’il « peut vivre son islam avec sa communauté, mais qu’il a besoin des chrétiens pour vivre son arabité. »

Les révolutions arabes : une chance pour les églises

Les bouleversements qui traversent le monde arabe depuis le début de l’année 2011 sont prometteurs. Dans les rues en ébullition, les intégristes musulmans religieux ne sont guère envahissant, et les slogans entendus ne réclament pas l’instauration d’émirats ou l’établissement de constitutions futures basées sur la Chari’a (la loi coranique). « Ces derniers temps de plus en plus de jeunes musulmans libanais intègrent les principes d’une société civile, » se réjouit Melhem Khalaf, président de l’association Offre Joie. « De bon augure pour l’avenir » conclut-il…

Les chrétiens libanais ont compris que le temps jouait pour eux. Ce qui se passe aujourd’hui au sud de la Méditerranée, est une chance à saisir. Même si dans la Syrie voisine, en révolte depuis le 15 mars dernier, une majorité de chrétiens continue par peur des islamistes, à soutenir le régime de Bachar al-Assad, beaucoup mesurent que leur communauté serait la première bénéficiaire d’un changement démocratique dans la région. « À nous de rompre avec l’enfermement identitaire, en repoussant la tentation du repli communautaire, qui nous a tant desservi, » prophétise Michel Hajji Georgiou, journaliste chrétien au quotidien « L’Orient-le-Jour ». À l’heure où les peuples arabes manifestent pour réclamer des droits universels fondamentaux : liberté, dignité, justice, égalité, parité hommes-femmes, les chrétiens du Liban doivent participer pleinement à ce mouvement de liberté, en tournant définitivement le dos aux conflits passés … Ils sont sur la bonne voie

Luc Balbont


Luc Balbont est reporter à Pèlerin, hebdomadaire du groupe Bayard-Presse. Arabisant, il vit depuis 20 ans entre le Liban et la France, où réside sa famille. Correspondant également du quotidien algérien « Liberté »

Pour lire la première partie de l’article, cliquez ici