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les chrétiens du Liban toujours debout

Divisés et fragilisés sans doute, mais debout, dynamiques et surtout porteurs d’avenir pour ce monde arabe, en pleine révolution depuis de début de l’année.

1975- 1993 : Les années noires

Quinze ans de guerre civile (1975-1990), une occupation israélienne (1978 et 2000), une autre syrienne (1976-2005), un coup de force du Hezbollah, « le Parti de Dieu » chiite pro-iranien, en mai 2007. En juillet 2008, un violent conflit armé opposant la milice chiite du Hezbollah (le parti de Dieu) à l’État hébreux détruit une grande partie des infrastructures du Sud. Sans oublier les diverses crises qui ont paralysé le pays. Dans ce catalogue de catastrophes qui frappent le Pays du Cèdre durant ces presque quarante dernières années, les chrétiens libanais endurent leur part de souffrances. Un grand nombre d’observateurs et d’experts prédisent même leur fin.

Attablé tranquillement à la terrasse d’une une paillote construite en bordure de mer, au nord de Jbeil (Byblos), le docteur Elias Ghosn, 60 ans, chrétien maronite, interroge : « Si la France avait traversé les mêmes épreuves où en serait-elle aujourd’hui ? » Elias se souvient du 13 octobre 1990. Figure de la résistance libanaise, le général Michel Aoun est sacrifié sur l’autel du réalisme diplomatique. Les puissances internationales donnent le droit à la Syrie de se servir de son aviation. L’armée libanaise qu’il commande rend les armes. Aoun doit s’exiler et, avec lui, un grand nombre de chrétiens. Ces derniers sont les grands perdants de cette guerre de 15 ans, qui se solde par un bilan de 300 000 morts au moins.

Signé une année avant la défaite, le 22 octobre 1989, l’accord de Taëf et son amendement de 1991 voit les chrétiens perdre leur prédominance. « Les maronites (la plus grande communauté chrétienne du pays) sont délestés d’une partie de leur pouvoir » rappelle Elias. « Le président de la République, poste réservé obligatoirement à un chrétien maronite, abandonne une partie de ses prérogatives au profit du chef du gouvernement (obligatoirement sunnite) et du président de l’Assemblée (obligatoirement chiite). 500 000 chrétiens ont été chassés de leurs foyers, 240 villages ont été détruits et 387 églises endommagées et vandalisées. Majoritaire avec plus de 50 % de la population, la chrétienté devient la seconde force du pays (entre 28 % et 30 % selon les sources), derrière les chiites (estimés à 40 %) et (ou à égalité) avec les sunnites (entre 25 % et 30 %)

Découragés, dégoûtés, les chrétiens optent pour le repli et refusent de participer à la vie politique. En 1992, ils boycottent les premières élections législatives. Pourtant, peu à peu, ils vont revenir sur le devant de la scène.

1995, le génie de Jean-Paul II…2005, le départ des Syriens

Le coup de génie vient de Jean-Paul II, qui, au début des années 90, alors que la communauté « agonise », annonce la tenue d’un synode pour le Liban. Il se tiendra à Rome du 26 novembre au 14 décembre 1995. Les réunions préparatoires rassemblent toutes les communautés (les orthodoxes sont même consultés). L’initiative redonne de la vigueur aux chrétiens, leur apporte un nouveau souffle. Le voyage du pape Jean-Paul II au Pays du Cèdre, en mai 1997, est un incroyable succès. Le texte final du Synode, « l’Exhortation apostolique » où le saint Père polonais invite ses fidèles à se sentir pleinement arabes, à être fiers de leur culture, de leur langue (beaucoup préfèrent parler le français ou l’anglais), et à participer à la vie politique libanaise est unanimement salué par les chrétiens et les musulmans. C’est le premier déclic.

Second appel d’air : le départ des Syriens en 2005. Il va définitivement « doper » l’Église. Le 14 février 2005, l’ex Premier ministre Rafik Hariri est assassiné dans un attentat à la bombe à Beyrouth. La mort du milliardaire sunnite déclenche une tempête populaire phénoménale. Dans les semaines qui suivent, des milliers de Libanais, chrétiens musulmans confondus, descendent dans la rue, pour réclamer le départ de l’armée syrienne, force occupante depuis 1976. Excepté le Hezbollah chiite pro iranien, fondé en 1982 pour lutter contre l’occupation israélienne, et allié de la Syrie, toutes les communautés se fédèrent autour de la même cause : la souveraineté du Liban. Le 30 avril 2005 l’armée de Damas se retire. Ce retrait facilite le retour des grandes figures politiques chrétiennes, forcées à l’exil dans ces dernières années, pour s’être dressées contre la politique machiavélique de la Syrie et sa main mise sur la nation. Le général Aoun et Amine Gemayel (chef du Parti Kataëb) reviennent de leur exil. Emprisonné depuis 1994 suite à un procès tronqué, Samir Geagea, le chef des Forces libanaises, est libéré. Les partis chrétiens (courant aouniste, Forces libanaises ou Parti national libéral de la famille Chamoun) sont réhabilités. Ils participent aux élections législatives dès 2005. Un grand nombre de leurs candidats sont élus. Hommage soit rendu ici au Cardinal Sfeir, le patriarche qui régna sur la famille maronite durant 25 ans (entre 1986 et 2011). Il fut la seule personnalité à entretenir ouvertement l’espoir de la liberté au cours de cette sombre période. Grâce à ce religieux qui, en début d’année 2011, âgé alors de 91 ans, passe la main à Mgr Béchara Raï à la tête de la communauté maronite, les chrétiens ont pu garder une influence –contrairement à tous les autres pays arabes- dans la politique libanaise. Une influence qu’ils possèdent encore aujourd’hui, même si cette dernière est fragilisée par divers écueils.

 

Luc Balbont (la suite la semaine prochaine)

 


Luc Balbont est reporter à Pèlerin, hebdomadaire du groupe Bayard-Presse. Arabisant, il vit depuis 20 ans entre le Liban et la France, où réside sa famille. Correspondant également du quotidien algérien « Liberté »