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Les chrétiens « pas les seules victimes de la violence » au Moyen-Orient, selon les évêques de Terre Sainte

« Persécution. Dans de nombreuses parties du monde occidental, ce mot est sur ​​toutes les lèvres. On ne cesse de dire qu’aujourd’hui les chrétiens sont persécutés au Moyen-Orient. Mais, que se passe-t-il réellement ? Comment, en tant que chrétiens et en tant qu’Église, parler en toute vérité et intégrité de la souffrance et de la violence qui sévit dans la région ?»

C’est sur cette question délicate, qui divise effectivement les spécialistes en Europe notamment, que les ordinaires catholiques – la plupart étant évêques – de Terre sainte ont choisi de prendre position. Avec leur comité Justice et paix, ils ont publié mercredi 2 avril 2014 un communiqué commun «au sujet de la persécution des chrétiens au Moyen-Orient».

De nouveaux rapports de force

Dans ce texte, l’ensemble des patriarches et évêques catholiques – des différents rites – d’Israël, de Palestine et de Jordanie rappellent que « les récents bouleversements du Moyen-Orient, d’abord appelés “printemps arabe”, ont ouvert la voie à des groupes extrémistes et à de nouveaux rapports de force qui, au nom d’une interprétation politique de l’islam, font des ravages dans de nombreux pays, en particulier en Irak, en Égypte et en Syrie ».

« Il ne fait aucun doute non plus que nombre d’extrémistes considèrent les chrétiens comme des infidèles, des ennemis, ou encore des agents de puissances étrangères hostiles ou comme une cible facile à extorquer », soulignent-ils également.

Les musulmans non-conformistes sont également assassinés

« Cependant, au nom de la vérité, nous devons souligner que les chrétiens ne sont pas les seules victimes de cette violence et de cette sauvagerie », écrivent-ils. Les « musulmans laïques, tous ceux nommés “hérétiques”, “schismatiques” ou simplement “non-conformistes” sont également attaqués et assassinés ».

Et les violences s’exercent aussi entre courants de l’islam : « Là où les extrémistes sunnites sont au pouvoir, les chiites sont massacrés. Là où les extrémistes chiites dominent, les sunnites sont tués », indique le communiqué.

« Oui, les chrétiens sont parfois touchés précisément parce qu’ils sont chrétiens, parce que leur foi est différente et parce qu’ils ne sont placés sous aucune protection. Cependant, en ces temps de violence où règnent la mort et la destruction, ils sont des victimes qui viennent s’ajouter à tous ceux, très nombreux, qui souffrent et qui meurent », résument les ordinaires de Terre sainte.

Appeler aux réformes nécessaires

Fait rare, les responsables catholiques n’hésitent pas à aborder, dans ce texte, la délicate question du positionnement politique de leurs fidèles – et parfois de leurs Églises – dans les bouleversements en cours. « Les chrétiens vivaient dans une relative sécurité sous (les) régimes dictatoriaux », qui, jusque-là, « garantissaient “l’ordre et la loi” mais au prix terrible de la répression militaire et policière ». Certains ont donc « eu tendance à défendre ces régimes ».

« Au lieu de cela, la fidélité à leur foi et leur préoccupation pour le bien de leur pays, auraient dû peut-être les amener à parler beaucoup plus tôt, à dire la vérité et à en appeler aux réformes nécessaires, en vue de plus de justice et de respect des droits de l’homme, et à prendre position aux côtés de nombreux chrétiens et musulmans courageux qui ont su parler », reconnaissent-ils humblement.

Loin de nier « les peurs et les souffrances » de leurs fidèles, « qui ont perdu dans cette violence des membres de leur famille et ont été chassés de chez eux », ils se bornent à rappeler avec clarté que « la répétition du mot “persécution” dans certains milieux (pour désigner habituellement uniquement les souffrances endurées par les chrétiens aux mains de criminels qui se déclarent musulmans), sert aux extrémistes, chez nous comme à l’étranger, dont le but est de semer la haine et les préjugés, et de monter les peuples et les religions les uns contre les autres ».

Parler haut et fort, en vérité

En France, certaines associations comme l’Œuvre d’Orient, relayant les appels de responsables orientaux, alertent déjà depuis de longs mois sur ce risque : plutôt que d’isoler les chrétiens dans leurs propres pays, de cibler sur eux leurs actions de solidarité et leurs initiatives diplomatiques, au risque d’accréditer la thèse – déjà très répandue dans nombre de pays à majorité musulmane – selon laquelle les chrétiens seraient « des alliés de l’Occident », les pays occidentaux doivent au contraire appuyer leur insertion dans les sociétés dans lesquelles ils vivent. Lucides, les ordinaires de Terre sainte soulignent de surcroît que ce discours ne s’appuie sur aucune mobilisation « réelle » : « Les pouvoirs politiques locaux et internationaux cherchent leurs propres intérêts ».

« C’est seuls que nous devons bâtir ensemble un avenir commun. (…) Chrétiens et musulmans doivent lutter ensemble contre les nouvelles forces de l’extrémisme et de la destruction », proclame donc le texte, appelant les croyants des deux religions à « être solidaires et parler haut et fort en vérité et en liberté ».

Anne-Bénédicte Hoffner pour la Croix