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Les communautés arméniennes du Proche-Orient arabe, Nicolas MIGLIORINO & Ara SANJIAN - 2008

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Nicola Migliorino est professeur de relations internationales à l’Université de Marrakech et chercheur à l’Institut des études arabes et islamiques à Exeter (Grande-Bretagne).

Ara Sanjian est de l’ Université du Michigan

Source : www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2008-3-page-73.htm

Minorité diasporique et transnationale par excellence, les Arméniens ont habité le Proche-Orient depuis l’Antiquité. Le peuple arménien est originaire d’une région qui se trouve à la marge du Proche-Orient arabe contemporain1. La zone géographique qui est généralement connue comme l’Arménie historique se situe en effet à l’intérieur des limites territoriales de la Turquie et de l’Iran contemporains, et en partie au sein de la République d’Arménie, de la Géorgie et de l’Azerbaïdjan. L’histoire du peuple arménien est ainsi profondément liée à celle du Proche-Orient : les événements historiques du Caucase, de l’Anatolie, de la Perse et du Croissant Fertile ont contribué à plusieurs reprises à travers les siècles à la dispersion des Arméniens.

Entre migrations et cohésion

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Depuis l’époque d’Hérodote, la présence d’Arméniens, plus ou moins importante selon les périodes, a été observée en Mésopotamie, en Egypte et dans le Bilad Ash-Sham (Syrie, Liban, Palestine). La migration d’Arméniens vers ces régions était historiquement déterminée par différentes raisons, parfois concurrentes : guerres et instabilité politique, persécutions religieuses, ou recherche d’opportunités économiques. A l’Antiquité comme au Moyen-Âge, les Arméniens formaient parfois des communautés suffisamment importantes numériquement (ex. à Bagdad, Basra, Alep, Antioche, le Caire) pour garantir une véritable différenciation sociale et culturelle. Dans ces centres, les immigrés arméniens s’engageaient dans des activités très variées, notamment le commerce et les emplois administratifs. Jérusalem occupe une place particulière en tant que centre spirituel et lieu de pèlerinage depuis le quatrième siècle, lorsque des moines arméniens s’y installèrent dès la conversion officielle de l’Arménie au christianisme2.

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Mais les communautés arméniennes actuelles du Proche-Orient se sont formées pour la plupart à partir du Génocide de 1915-1916. Même dans des villes comme Alep où les Arméniens étaient déjà nombreux et socialement intégrés avant la Première Guerre mondiale, le Génocide change radicalement la carte démo-géographique de la présence arménienne. A partir des années 1920, alors que l’Anatolie ne comptait presque plus d’Arméniens, les rescapés constituent de nouvelles communautés en Syrie, au Liban, en Irak, en Palestine, en Transjordanie, en Egypte et ailleurs dans la région. Installés pour la plupart dans des campements de réfugiés aux marges des villes principales du Proche-Orient, ces communautés ne représentaient que des fragments d’une société brisée, où les relations familiales et de voisinage, ainsi que les liens territoriaux et culturels originels avaient été brusquement coupés3.

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Au cours des décennies qui ont suivi le Génocide, la vie des communautés arméniennes au Proche-Orient s’est caractérisée par une solidarité ethnique et religieuse remarquable, ce qui n’a pas empêché une grande différenciation interne. Les réfugiés et leurs descendants ont participé, souvent d’une façon très consciente et déterminée, à ce qu’on peut décrire comme une entreprise de reconstruction (ou bien de « construction » ex novo) d’un système socio-culturel arménien dans les pays d’accueil. La (re) construction visait initialement à préserver un héritage et une identité culturels spécifiques et à préparer le retour sur les terres d’origine. Au cours des années, cette ‘mission’ a dû se transformer, au fur et à mesure que le retour se révélait de plus en plus improbable4. Les Arméniens sont graduellement passés d’une représentation d’eux-mêmes comme un ensemble de communautés en exil à une vision globale du peuple arménien comme communauté diasporique transnationale permanente5.

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Dans le processus de (re) construction socio-culturelle, le rôle joué par les institutions communautaires formelles a été crucial. Partout dans la région, et dès le début, la vie communautaire arménienne a été marquée par la présence d’une très forte structure institutionnelle, organisée principalement autour des trois Églises arméniennes (apostolique, qui regroupe la vaste majorité des Arméniens, catholique, et évangélique) et des noyaux reconstitués des partis nationalistes arméniens (Dashnaksutiun, Hunchakian, Ramkavar), et – à un degré moindre – d’un certain nombre d’associations patriotiques régionales (regroupant des réfugiés originaires d’un même village, ville ou région). Cette richesse et cette diversité institutionnelles ont eu des effets déterminants sur le projet de (re) construction. Si celui-ci pouvait paraître, dans une perspective historique globale, comme unitaire et explicite, il a été en même temps caractérisé par sa nature plurielle et implicite. Autrement dit, la (re) construction arménienne au Proche-Orient a été conduite par une multiplicité d’acteurs institutionnels, parfois d’une façon coordonnée et convergente, parfois – au contraire – d’une façon parallèle et concurrente. Cela est particulièrement évident dans le domaine de l’instruction scolaire : chacun des centres institutionnels mentionnés (Églises, partis politiques, …) a cherché, au cours des années, à développer et maintenir un réseau d’écoles plus au moins indépendant, et à promouvoir ainsi sa propre conception de la culture et de l’identité arméniennes.

Quelle place pour les Arméniens ?

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Vis-à-vis des pays et des sociétés d’accueil, les Arméniens ont traditionnellement développé et maintenu une position respectueuse des institutions politiques existantes, et une attitude positive à l’intégration dans le contexte économique local, tout en préservant une certaine « insularité »7. Cela a été bien sûr dicté initialement par les nécessités liées à une situation d’urgence, mais aussi par le choix rationnel et volontariste de mener une stratégie communautaire de (re) construction et de préservation socio-culturelles. Le loyalisme vis-à-vis des institutions locales et le maintien d’une participation formelle au processus politique ont été souvent conçus comme le prix à payer pour légitimer le droit à une existence ‘parallèle’ et autonome, où les divers projets communautaires (politiques, religieux, culturels) pouvaient se développer. Ce qui signifie qu’au niveau public, les Arméniens sont restés souvent plutôt détachés des questions et débats qui ont marqué l’histoire politique des pays du Proche-Orient (le nassérisme, la question arabo-israélienne, l’évolution politique turbulente de la Syrie, la guerre du Liban…). Au-delà des opinions individuelles sur ces sujets, qui étaient toujours possibles, le discours communautaire arménien « officiel » s’est généralement maintenu sur des positions non-alignées et plutôt modérées.

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En raison de cette position à la fois de loyauté et de détachement par rapport aux institutions et les affaires locales, les Arméniens du Proche-Orient ont souvent évité l’emploi public dans les sociétés d’accueil. Par exemple, les jeunes Arméniens font régulièrement leur service militaire dans les cas où il est obligatoire ; mais très peu décident de poursuivre une carrière dans l’armée (employeur de premier rang dans plusieurs pays de la région). D’une façon similaire, les Arméniens ont souvent hésité à chercher des emplois dans l’administration publique, à l’exception du niveau, très local, des quartiers résidentiels arméniens. Les familles et les écoles arméniennes, pour leur part, contribuent à cette attitude en encourageant des principes individualistes, comme la confiance en soi-même, l’ingéniosité, le « travail dur ».. Ainsi, de manière générale, dans les pays du Proche-Orient arabe, les hommes et les femmes arméniens cherchent à s’employer de façon indépendante comme professionnels, entrepreneurs du commerce et de l’industrie, ou bien comme secrétaires, professeurs des écoles, etc., utilisant souvent leurs liens et relations communautaires et formant, globalement, une classe moyenne urbanisée8.

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Cette « insularité » ou autonomie arménienne, qu’on a ici interprétée comme le résultat d’un « échange » sur le plan politique, n’a pas été possible partout, ni toujours au même degré au Proche-Orient. Historiquement, l’exemple le plus réussi de la poursuite d’un projet communautaire arménien dans la région est sans doute celui du Liban. De l’indépendance à la guerre civile de 1975-1990, le pays du Cèdre se présentait comme un pari réussi de coexistence intercommunautaire. Doté d’un système politique original, inspiré à la fois de la tradition ottomane, de la formule constitutionnelle du mandat français et d’une certaine tradition locale de relations intercommunautaires, le Liban représente un exemple de ce qu’on appelle « consociativisme politique 9 » ou « fédéralisme à base personnelle10 », fondé sur la reconnaissance mutuelle d’un certain nombre de communautés définies par leurs appartenances confessionnelles. Selon son principe de base, toutes les communautés officiellement reconnues sont dotées d’une personnalité juridique au niveau de l’Etat, impliquant un système de droits et de devoirs collectifs, y compris des droits culturels. L’ampleur considérable de ces droits et la fragilité intrinsèque des institutions centrales ont permis à ces communautés de profiter d’espaces d’autonomie culturelle très vastes et de poursuivre d’une façon très efficace leurs stratégies confessionnelles. Le niveau d’autonomie atteint par les Arméniens du Liban dans la gestion du système d’enseignement privé, l’organisation des services sociaux destinés à la communauté, le développement de la presse, de l’édition et de la culture, mais aussi la liberté de participer pleinement à la dynamique politique transnationale du monde arménien demeurent en effet uniques dans la région, au point que, dans les années 1950-1960, les Arméniens du Proche-Orient regardaient souvent Beyrouth comme un foyer national et un refuge.

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Mais les Arméniens du Liban ont beaucoup souffert des conséquences de quinze années de guerre civile. La décision du leadership arménien de maintenir la neutralité politique et militaire de la communauté pendant toute la durée du conflit n’a pu lui épargner complètement la violence, ni la soustraire aux pressions d’une société libanaise politiquement divisée. La guerre a brisé le mythe du Liban pays de la cœxistence, ce qui a profondément affecté et de façon durable la vision que beaucoup d’Arméniens avaient de ce pays. Au-delà des victimes et de la destruction physique, elle a provoqué un très fort mouvement de migration, ce qui a réduit la population de moitié par rapport à la période d’avant-guerre, passant, selon les estimations, de 165000 à 80000 personnes. Cette crise démographique a entraîné de toute évidence une crise culturelle. Elle a non seulement réduit sensiblement le public, et par conséquent la demande de produits culturels arméniens, mais elle a emporté un nombre considérable d’intellectuels, d’artistes, de membres des professions libérales vers les pays de l’Amérique du Nord ou ailleurs en Occident.

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En Syrie, en Irak et en Egypte, la stratégie communautaire arménienne fondée sur la (re) construction et la préservation culturelle , ainsi que sur le maintien de l’insularité, a été historiquement beaucoup moins réussie. Elle s’est heurtée en particulier aux restrictions imposées par les régimes nationalistes arabes au pouvoir dans les années 1950-1960. Dans le domaine politique et institutionnel, le nationalisme arabe, dans ses variantes locales ou régionales, ainsi que les idéologies baathiste et nassériste opposaient toute forme d’autonomie ethnique explicite comme des concessions dangereuses pour la stabilité des systèmes politiques ou des régimes, la cohésion sociale, voire l’intégrité territoriale nationale. Les formes institutionnalisées de représentation politique des minorités furent donc éliminées, comme ce fut le cas en Syrie à partir de 1949. Dans ce contexte, les activités des partis politiques, des associations et des media communautaires subirent parfois de très fortes limitations ou furent complètement bannies, forçant le leadership à s’organiser et fonctionner de façon clandestine11.

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Du point de vue de la politique culturelle, les régimes arabes nationalistes ont imposé des mesures visant à l’arabisation de la population, ce qui, dans le cas des Arméniens, représentait une menace sévère pour l’éducation scolaire. L’arabisation forcée des programmes scolaires a rendu difficiles les conditions de transmission de la langue arménienne aux nouvelles générations. Dans le domaine économique, l’adoption de programmes de réforme radicale, incluant la nationalisation d’entreprises et la limitation ou le contrôle de l’initiative privée, a aussi contribué à bouleverser la vie communautaire arménienne durant ces années. La conjonction de conditions économiques défavorables et la restriction de la liberté et de l’autonomie culturelle a favorisé l’émigration arménienne et entraîné le déclin culturel.

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Une amélioration, certes limitée, de la situation de la communauté arménienne a été observée en Syrie sous le régime du président Hafiz al-Asad, à partir de son installation au pouvoir en 197012. En quête de consolidation et de légitimité, l’Etat syrien a proposé une sorte de pacte implicite à certaines communautés ethniques ou culturelles, comme les Arméniens. Les restrictions ou des formes de contrôle ont été assouplies (par exemple dans les domaines de l’enseignement scolaire, de la presse, des services sociaux, etc.) en échange de leur soutien au pouvoir. Parfois, dans le contexte de la politique régionale syrienne, les Arméniens ont même été autorisés à exprimer publiquement des positions politiques anti-turques concernant le Génocide13. Bien entendu, l’émergence du régime des Asad n’a certainement pas marqué le début d’une renaissance culturelle arménienne en Syrie. Cependant, elle a contribué à ressusciter l’image d’une Syrie patrie d’adoption possible. En effet, et en dépit d’une émigration qui continue à menacer la viabilité culturelle de la communauté, la Syrie compte encore une population arménienne estimée à 90000 personnes, dont près de la moitié dans la seule région d’Alep.

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Un processus similaire caractérisait la communauté arménienne d’Iraq dans les années 1970, lorsque certaines associations de nature non politique retrouvèrent l’autonomie nécessaire à la reprise de leurs activités. Ce développement positif a toutefois été limité par les effets (économiques, politiques, sécuritaires) des crises et conflits internationaux dans lesquels l’Irak s’est trouvé plongé à partir de la seconde moitié des années 1980 : la guerre avec l’Iran, l’invasion du Koweït et la première guerre du Golfe qui s’en est suivie, les sanctions décrétées par les Nations Unies, et enfin l’invasion du pays par les forces américaines et leurs alliées en 2003. Cette désastreuse succession d’évènements pourrait bien mettre une brusque fin à l’existence de la communauté arménienne d’Irak. En effet, depuis 2003, l’instabilité et l’insécurité du pays ont provoqué un mouvement de réfugiés qui a touché d’une façon particulière l’ensemble des communautés chrétiennes. Comme l’Irak semble installé dans l’instabilité et la violence, il est difficile de faire une estimation du nombre d’Arméniens qui restent dans le pays sur les 12000 qui y habitaient avant 1990, et de prévoir combien parmi ceux qui se sont réfugiés à l’étranger auront la possibilité de rentrer chez eux.

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En Egypte, les bouleversements connus par la communauté arménienne sous Nasser n’ont pas été complètement redressés. Les Arméniens, qui formaient jadis une communauté florissante d’environ 40000 personnes, ne sont aujourd’hui que quelques milliers, pour la plupart concentrés au Caire et en Alexandrie. Pourtant, les Arméniens d’Egypte constituent une communauté relativement stable et prospère. En effet, la plupart de ceux qui choisirent de ne pas quitter l’Egypte dans les années 1960 ont pu profiter des opportunités créées par la politique de libéralisation économique qui s’ouvrit sous la présidence d’Anouar Sadate. Même si le nombre d’élèves ne représente qu’un faible pourcentage par rapport aux années 1950, des écoles arméniennes existent toujours en Egypte, ce qui est crucial pour le maintien d’une identité culturelle arménienne14.

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L’expérience de la communauté arménienne en Palestine a été marquée de toute évidence par l’évolution de la question arabo-israélienne. La communauté qui s’était formée à partir du Génocide fut brisée par les bouleversements de la guerre de 1948-1949. Durant le conflit, près de 4000 Arméniens qui habitaient les villes côtières de la Palestine se réfugièrent à l’intérieur de la vieille ville de Jérusalem et ne purent plus jamais regagner leurs maisons. Quelques années plus tard, ils allaient presque tous quitter la Palestine pour se réfugier au Liban, en Arménie Soviétique ou dans les pays Occidentaux. Quelques familles se réinstallèrent en Jordanie, rejoignant la petite communauté arménienne qui s’était formée à la fin de la Première Guerre mondiale, tandis que seulement 800 à 1000 Arméniens restèrent à Jaffa, Haïfa ou Jérusalem-Ouest. L’occupation israélienne de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie et de Gaza en 1967 a bouleversé davantage la vie de la petite communauté arménienne de Palestine, en l’isolant des autres communautés arméniennes de la région. Une nouvelle vague de réfugiés a pris le chemin de l’exil (encouragé par les autorités israéliennes), d’autant que la destruction du quartier des Maghrébins, contigu au quartier arménien, a mis à la rue plusieurs familles arméniennes qui y habitaient15. Aujourd’hui la présence arménienne à Jérusalem-Est et dans l’ensemble des territoires occupés en 1967 est estimée à moins de 3.000 personnes. Elle est organisée autour des Eglises (l’Eglise arménienne apostolique principalement et l’Eglise arménienne catholique) et des associations politiques et culturelles traditionnelles. L’influence de l’Eglise apostolique sur cette communauté est d’autant plus importante que celle-ci, siège d’un patriarcat, partage avec les Eglises grecque orthodoxe et latine la propriété et le contrôle des lieux saints et qu’une grande partie des familles habite dans l’enceinte du monastère où se trouvent également le patriarcat ainsi que les infrastructures éducatives, associatives et médico-sociales. Depuis les années 1990, on observe un mouvement d’immigration en Israël d’Arméniens originaires des ex-républiques soviétiques. On estime leur nombre à 10000 personnes. Une partie de cette population s’est intégrée dans les communautés arméniennes des villes israéliennes et quelques familles dans celle de Jérusalem à la faveur des mariages.

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La communauté arménienne de Jordanie, installée surtout à Amman, est de la même taille que celle de Jérusalem. Elle est dotée d’une école et de quelques associations sportives et culturelles. Le mouvement d’émigration qu’elle connaît est contrebalancé actuellement par l’arrivée de réfugiés arméniens d’Irak.

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Des communautés arméniennes d’origine plus récente se sont formées graduellement dans les pays de la péninsule arabique depuis les années cinquante et soixante. Elles sont constituées dans leur majorité d’Arméniens qui ont récemment immigré dans les pays arabes du Golfe où ils trouvaient des emplois. Bien qu’ils n’aient pas la citoyenneté de leur pays de résidence, les Arméniens du Koweït, des Emirats Arabes Unis, du Qatar, du Bahreïn et de l’Arabie Saoudite ont pu se doter progressivement d’institutions communautaires, incluant écoles, églises et associations.

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Dans un contexte proche-oriental qui semble en général de moins en moins favorable à la diversité culturelle, le fait que les Arméniens ont été capables de développer et/ou préserver – jusqu’à présent – une forte identité alternative est remarquable en soi. Toutefois, l’avenir de l’identité culturelle arménienne au Proche-Orient n’est pas tout à fait acquis. L’évolution politique de la région, les conséquences des périodes de crise économique ont contribué, à travers les décennies, à affaiblir la présence arménienne dans le Proche-Orient arabe, ce qui – dans certains cas – semble avoir privé les communautés de la ‘masse critique’ nécessaire pour garantir la reproduction de sa présence culturelle alternative. ■

Nicola Migliorino*

Ara Sanjian**

 

Notes

 [ 1] Dans l’usage commun, l’expression ‘Proche-Orient’ indique une région aux contours souvent différents. Parfois on y inclut l’Anatolie ou même le sub-Caucase. Parfois le terme se limite à indiquer une partie seulement de l’Orient arabe. Sans entrer dans les détails, cet article considère comme Proche-Orient arabe la région à dominante culturelle arabo-musulmane qui inclut le Levant (Syrie, Liban, Palestine/Israël, Jordanie), la Mésopotamie (Irak), la péninsule arabique et l’Egypte.

[ 2] Selon une tradition ancienne, le christianisme s’est diffusé en Arménie dans la deuxième moitié du premier siècle à travers la prédication de deux apôtres de Jésus-Christ : Saint Thaddée et Saint Bartholomé. La conversion formelle du peuple arménien au christianisme, par décision du roi Tiridate, est située au début du quatrième siècle, suite à la prédication de Saint Grégoire.

[ 3] Sur le sujet des campements arméniens, voir, parmi une littérature de plus en plus riche, R. Kévorkian, L. Nordiguian et V. Tachjian (eds). 2006. Les Arméniens 1917-1939 : La quête d’un refuge, Beyrouth : Presses de l’Université Saint-Joseph.

[ 4] Bien entendu, si on ne veut pas considérer la migration vers l’Arménie soviétique, toujours possible, comme un « retour ».

[ 5] Voir, par exemple, K. Tölölyan. 2002. Redefining Diasporas : Old Approaches, New Identities, London : Armenian Institute.

[ 6] Voir N. Migliorino. 2008. (Re) constructing Armenia in Lebanon and Syria : Ethno-Cultural Diversity and the State in the Aftermath of a Refugee Crisis, Oxford and New York : Berghahn Books.

[ 7] Après le Génocide, les Arméniens « apatrides » ont acquis très vite la citoyenneté de leurs pays d’accueil, ce qui a contribué à leur intégrtion rapide

[ 8] A. Sanjian. 2001. ‘The Armenian Minority Experience in the Modern Arab World’, Bulletin of the Royal Institute for Inter-Faith Studies, Vol. 3, N°. 1 : 149-179.

[ 9] A. Lijphart, Democracy in Plural Societies (New Haven and London : Yale University Press, 1977).

[ 10] A. Messarra, Théorie Générale du système politique libanais (Paris : Cariscript, 1994), chapitre II, pp. 52-112.

[ 11] Du point de vue strictement légal, même au Liban les principaux partis politiques Arméniens fonctionnent sans autorisation légale. Cependant, leur présence et activités sont de facto reconnues et ne doivent pas être cachées aux yeux publics.

[ 12] Sur la communauté arménienne en Syrie voir N. Migliorino. 2007. ‘Kulna Suriyyin ? The Armenian Community and the State in Contemporary Syria’, Revue des Mondes Musulmans et de la Méditerranée, N°. 115-116 : 97-115.

[ 13] Cependant, depuis les Accords de Adana de 1998, la possibilité pour les Arméniens de Syrie de s’exprimer publiquement sur ces sujets a été progressivement limitée.

[ 14] R. Kourouian, ‘In the Land of Pharaohs : The Centuries-Old Armenian Community in Egypt’, Armenian International Magazine, April 1999 : 53-54.

[ 15] A. Sanjian, ‘The Armenian Minority Experience’.