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Liban, Al Qaa : un combat pour la Paix

Par Agathe et Honorat Damon.

Abouna Elian Nasrallah, curé de la paroisse melkite de Qaa, voue toute son énergie au bien-être des villageois. Il faut rester, coute que coute. Ne pas laisser place si facilement aux extrémistes en choisissant l’exil. La Vierge de Qaa protège de l’envahisseur, tel est le credo des hommes et des femmes qui vivent ici. Cette Madone de 4 mètres, fut érigée à l’initiative de Massourd Matar, natif des lieux, il y a de ça 20 ans. Marie surplombe Qaa depuis la colline. Derrière elle, les montagnes pelées de l’Anti-Liban abritant miliciens armés de tout bord. Devant elle, la plaine fertile de la Bekaa.

Notre Dame, protectrice des lieux, le Montmartre d'Al Qaa

Depuis deux ans, ce modeste village a vu affluer 30 000 réfugiés syriens musulmans. Les villageois ont mis à disposition des terrains pour les accueillir, l’UNHCR a fourni des tentes. Puis, pas grand-chose. Le Liban accueille aujourd’hui plus d’un million et demi de Syriens, sunnites pour la plupart. Ce chiffre est éloquent en soi, il l’est encore plus quand l’on sait que le Liban compte seulement 4 millions et demi d’habitants. Cela inquiète. Et l’on comprend bien. Le système politique du pays étant constitué d’une fragile troïka entre sunnites, chiites et chrétiens des diverses églises. Les sunnites libanais sont à peine 900 000 à ce jour, et les fantômes de la guerre civile hantent encore les mémoires. D’aucuns se souviennent de l’alliance entre sunnites et réfugiés palestiniens, de même confession, à la fin des années 70, et des douze années de lutte fratricide qui en découlèrent.

Village d'Al Qaa, en arrière plan, chaîne de l'anti Liban.

Revenons à Qaa.

Les réfugiés des camps voisins viennent pour l’essentiel des régions désertiques de Syrie. Certains ont fui les combats, d’autres la pauvreté. Nul besoin d’être un grand sociologue pour constater une pauvreté ancestrale. Quelques-uns ont certes perdu des biens, mais beaucoup trouvent la vie moins rude dans les camps. C’est dire dans quelles conditions ils vivaient. Des réfugiés bédouins étaient nomades, et se voient aujourd’hui contraints à une relative sédentarisation. Quel avenir pour eux ? Quel avenir à long terme ?

 

 Abouna Elian tente alors de parer à l’urgence.

En premier lieu, étoffer les tentes où s’entassent les familles, offrir des vêtements chauds pour combattre le froid de l’hiver, sans oublier quelques accessoires de base pour améliorer l’hygiène plus que déplorable dans ces camps. Mais pour Abouna le véritable défi est l’éducation de la jeune génération, former les adultes de demain, donner accès aux savoirs de base aux enfants dont les parents n’ont peu ou pas éprouvés les bancs de l’école[1]. Pour cela, les enfants syriens des environs bénéficient de l’école mise en place par Abouna chaque matin avec l’aide de l’IECD[2]. Les institutrices du village ont appris à enseigner des classes hétérogènes où l’âge et le niveau scolaire sont variables, suivant que l’enfant soit arrivé la veille ou des mois auparavant. Ces petites têtes, parfois blondes, apprennent dès leur arrivée la langue de Molière, la langue du pays frère depuis Saint Louis. Les regards sont vifs, la soif d’apprendre et de vaincre l’ennui du camp sont criants. Peut-être partiront-ils demain reconstruire la Syrie.

Enfants syriens à la sortie des classesAussi pouvons-nous voir placardées çà et là des affichettes semblables à des ex-voto « Merci l’Œuvre d’Orient » ou encore « Merci Amitié Anjou Liban » « Merci Médecins du Monde » et tant d’autres.

L’Œuvre d’Orient tient toutefois la primeur par sa grande banderole déployée sur le fronton du centre de santé et de l’école. Beaucoup connaissent ainsi cette association, peu réalisent en revanche le nombre de donateurs que cache ce nom. Le don en est alors d’autant plus noble.
Jouxtant les salles de classe, le centre de santé prend peu à peu la forme d’un véritable hôpital de campagne. Victime de son succès, ce centre de soins provoque de longues files d’attente. Les réfugiés peuvent venir tous les matins, aux mêmes horaires que l’école des enfants, pour bénéficier de consultations diverses. Les femmes enceintes, ou à peine délivrées, affluent chaque lundi, jeudi et samedi pour un rendez-vous avec le gynécologue ou le pédiatre. Parfois vient un cardiologue, très régulièrement un ORL, un ophtalmologue ou un dentiste. Tous ces soins sont gratuits. Abouna et son équipe doivent donc trouver les subventions nécessaires.

Abouna, et les villageois agissant pour le fleurissement de Qaa, ont bien conscience que l’aide extérieure est indispensable. Leur reconnaissance est donc grande. L’école et l’hospice offrent, entre autres, un travail à quelques villageois. L’après-midi, le centre ouvre même peu à peu ses portes aux Qaïens. Cela demande une véritable logistique. Abouna agit en chef d’orchestre et missionne chacun à une tâche pour que l’entreprise fonctionne et se développe au-delà des possibles. L’on pourrait presque se demander s’il n’use pas du don d’ubiquité. Parti aux aurores pour Beyrouth présenter un dossier au ministre de l’éducation, le voici au conseil paroissial au cours de l’après-midi, alors que quelques six heures de route auront été engrangées. Enfin, la soirée pourra se passer à régler un conflit, Abouna faisant office de diplomate. Son salon voit défiler un nombre incalculable de personnes, de l’imam chiite au frère maronite, en passant par un député du Hezbollah ou le procureur de la région. Ici chacun connait Abouna Elian, et la plupart des voisins musulmans ont à ce jour un réel respect pour Al Qaa.

Ci-contre, Père Elian devant la pompe hors d’usage.

Pour ce qui est des habitants du village, tout le monde sans exception connait le curé. En effet, grâce à la paroisse une pompe permet de limiter le rationnement drastique en eau et un puissant générateur évite aussi que soit prononcée trop souvent cette sentence « ma fi karaba[3] ». Sur ce générateur aussi, un écriteau remercie l’Œuvre d’Orient. Cependant les coupures d’électricité restent fréquentes, comme pour l’eau. C’est pourquoi Abouna voudrait mettre en place plusieurs projets en vue d’améliorer l’acheminement de l’eau et de l’électricité vers les maisons. Tout d’abord réhabiliter le puit laissé à l’abandon depuis de nombreuses années. Ensuite, réaménager le système de canalisation censé acheminer l’eau vers les champs en le bétonnant ou en installant un système d’irrigation via des tuyaux afin d’optimiser la distribution d’eau ; car à ce jour une grande part se perd dans la nature sans que l’on puisse en tirer profit. Enfin, changer une pompe hors d’usage depuis sept ans. Une nouvelle pompe permettrait d’obtenir de l’eau d’irrigation pour l’agriculture et de l’eau potable pour la consommation des foyers. Autant de projets qui rendraient la vie plus aisée aux villageois.

Enfants Libanais d'Al Qaa, sur les lieux de la future maison d’hôtes

Que dire aussi de la maison d’accueil en cours de construction et en attente de financements pour être achevée ? Cette idée audacieuse du père Elian part du constat qu’il n’existe aucun lieu pour accueillir les familles expatriées de Qaa en mal du pays. La maison d’hôte permettra de loger à bas prix les visiteurs familiers ou étrangers, tout en favorisant la création de quelques emplois pour le bon fonctionnement de l’hôtellerie. Là encore l’Œuvre d’Orient, l’Aide à l’Eglise en Détresse et Anjou Liban sont d’une généreuse contribution. Abouna et les paroissiens rêvent aussi de réhabiliter leur église saint Elias ainsi que la chapelle Notre-Dame de la Colline, lieu de pèlerinage local, perchée sur la montagne, surplombant les mercenaires de Daech.

Tous ces projets ont pour but de favoriser l’enracinement des chrétiens à Al Qaa afin de parer à l’immense tentation de l’émigration vers un proche parent, qu’ils ont tous, en France, en Allemagne ou en Amérique. Rappelons en effet qu’environ quatorze millions de Libanais vivent en dehors de leur pays d’origine.

Maintenir l’implantation millénaire des chrétiens d’Orient sur leur terre est le plus grand combat d’Abouna Nasrallah. Un combat pour la Paix.

Al Qaa et son Eglise au coucher du soleil. En arrière plan, la chaîne du Mont Liban

 

Grâce à la générosité des donateurs de l’Œuvre d’Orient, de l’Aide à l’Eglise en Détresse et d’Anjou Liban, insufflée au dynamisme de ses habitants, le village de Qaa peut espérer perdurer et surtout vaincre le mal du siècle libanais, l’exil vers d’autres contrées.

 


 

[1] Nous ne parlons pas ici des réfugiés syriens dans leur ensemble, mais des réfugiés syriens à Qaa. Nous savons que la Syrie contient un grand nombre de personnes instruites, cependant il demeure une partie de sa population aux modes de vie nomades, soustraite aux systèmes éducatifs, et aux mœurs quelque peu violentes, découlant de la rude condition de vie du désert et d’un système familial endogamique.

[2] Institut Européen de Coopération et de Développement.

[3] « Il n’y a plus d’électricité » en arabe, phrase assénée à chaque coupure de courant.