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«L’Occident a une attitude criminelle en Syrie»

 

Depuis plus de deux ans de conflit en Syrie, la communauté internationale a souvent changé d’avis lorsqu’il s’agissait d’imaginer une solution à une éventuelle sortie de crise. Près de 100 000 morts plus tard, plus d’un million de réfugiés plus tard, l’actualité est pourtant toujours à l’immobilisme.

Sa Béatitude Fouad Twal, Patriarche latin de Jérusalem, était en France ces jours-ci pour recevoir des mains de notre ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, les insignes de Grand Officier de l’Ordre national de la Légion d’honneur. Accompagné par Monseigneur Maroun Lahham, vicaire patriarcal pour la Jordanie, ils ont accepté de répondre au terme de leur visite aux questions des journalistes.

Des réfugiés trop nombreux 

Rapidement, les projecteurs se tournent vers la Syrie. Et monseigneur Lahham prend la parole, décrivant une situation alarmante en Jordanie, où ce sont désormais 700 000 Syriens qui sont venus chercher refuge. Une situation que son pays ne peut supporter. « Nous avions déjà 300 000 réfugiés irakiens, notre pays est petit et pauvre en eau, 700 000 personnes de plus, c’est un immense fardeau ».

Les problèmes engendrés par ces déplacements massifs de populations sont nombreux « des problèmes sociaux, l’impossibilité de fournir du travail à tous, une baisse des salaires car une main d’œuvre prête à tout, des problèmes moraux dus à la promiscuité des camps ». Après une hésitation, il poursuit « je crois que je peux le dire, il y a aussi les cheikhs d’Arabie Saoudite qui viennent chercher dans les camps des filles d’une quinzaine d’années, qu’ils épousent pour une semaine, comme l’islam permet de le faire, contre de l’argent que les familles acceptent ».

Inutile d’en dire plus pour comprendre, qu’effectivement, règne dans ces camps une ambiance « humainement intolérable ». Certains repartent d’ailleurs en Syrie, préférant affronter les bombes, mais ils croisent, plus nombreux encore, tous ceux qui arrivent.

La Jordanie espère « bien entendu, une solution politique ». Le Patriarche Twal acquiesce largement, précisant qu’il est « un peu tard pour s’en rendre compte », et commence alors, de la part des deux ecclésiastiques, une critique cinglante du comportement occidental dans le conflit.

92 000 morts pour changer un régime ?

« Les droits de l’Homme c’est bien joli, mais il fallait s’assurer d’une garantie avant de se lancer dans l’aventure ! Tous les pays du monde ont besoin de réformes, mais il n’aurait jamais fallu risquer ces 92 000 morts pour la chute d’un régime ». Les très nombreuses vies syriennes, les trop nombreux réfugiés, la déstabilisation entière de la région sont un prix absolument énorme, et continuer à croire en la chute de Bachar el Assad semble relever, dans leur bouche, de la naïveté. « Chez nous, les arabes, les changements se font par les militaires, pas par le peuple. L’armée syrienne est fidèle à Bachar – quoique majoritairement sunnite NDLR-. Il ne faut en aucun cas envoyer des armes, des armées, ou des fils combattre là-bas, personne ne peut assurer aux syriens qu’ils y gagneraient, ils paient déjà un prix bien trop fort. Et les exemples de l’Irak, de la Lybie, de l’Egypte nous donnent raison…» L’appel est clair.

L’Europe devrait s’affirmer

Le rôle particulier de la France ? La condamnation est sans appel.  La question du conflit israélo-palestinien est d’abord abordée par sa Béatitude, qui précise « C’est un monopole entre les Etats-Unis et Israël, l’Europe n’a aucun poids. J’aimerais que l’Europe s’investisse davantage car notre confiance est plus grande, vous connaissez mieux la région que les Etats-Unis».

Il encourage également à dire ce qui est : « l’occupation des territoires palestiniens par l’armée israélienne fait mal à tout le monde, il n’est pas vrai de dire qu’il peut y avoir la paix pour un peuple, et pas pour l’autre. Tout le monde en souffre. Je vois aujourd’hui toute une génération qui est né sous cette occupation et qui n’a jamais vu le Saint Sépulcre. Cette génération a une vie d’interdiction, de violence et de guerre, et une haine immense dans le cœur. J’ai peur qu’une paix, même signée, soit difficile à obtenir désormais… »

Je préfère la paix

Retour sur la Syrie, à la demande des journalistes présents. « Attention, je ne préfère pas Assad, je préfère la paix. Bachar était très dur avec les extrémistes musulmans, les chrétiens vivaient bien dans le pays, aucune balle n’a été tirée contre Israël… Il y avait des réformes à faire, c’est évident, mais pas à n’importe quel prix. Les images que nous voyons aujourd’hui de prêtres égorgés, de jeunes fusillés, décapités, sont des images nouvelles en Syrie. Alors est-ce que la communauté internationale pourrait nous écouter avant de prendre des décisions dont nous souffrons tous les jours ? » La critique est la même, et la fin du conflit syrien est difficile à envisager pour eux.

Monseigneur Lahham pèse ses mots : « Les grandes puissances ont tout gâché encore une fois en Syrie, pour leurs intérêts. La France change d’avis chaque jour, et les syriens en paient le prix. L’attitude des grands de ce monde est criminelle ». Et le Patriarche d’insister « Personne ne me fera croire que c’est pour la paix, la justice, les droits de l’Homme, ou les vies syriennes que les grandes puissances se battent. Ne donnez pas l’impression plus longtemps de collaborer avec un ramassis de fanatiques ! »

A la question de savoir s’ils ont abordé le sujet avec Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, ils répondent oui. « Votre ministre a entendu notre appel, il s’est rallié à la solution politique ». Encore un revirement donc, espérons cette fois-ci qu’il s’y tienne.

 

Charlotte d’ORNELLAS pour Jolpress

 

 A ECOUTER :

L’entretien de sa Béatitude Fouad TWAL sur KTO le 3 Juillet 2013