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Ma mission : le dialogue et l'amour

Eglises d’Asie : Votre Béatitude, vous êtes aujourd’hui à la tête d’une Eglise en pleine croissance, qui se trouve également à une étape historique concernant ses relations avec l’Eglise latine.

Mar Alencherry : C’est une période importante en effet. L’Eglise syro-malabare a vécu une histoire mouvementée depuis sa fondation au début de l’ère chrétienne (1). Mon Eglise, qui avait été latinisée à partir du XVIème siècle, n’a retrouvé son rite araméen oriental que tout récemment, au début du XXème siècle, puis sa hiérarchie, rétablie en 1923. Mais l’étape la plus importante est sans nul doute lorsque Jean Paul II l’a élevée en 1992 au rang d’Eglise archiépiscopale majeure (2), puis l’a autorisée en 2004 à élire ses propres évêques. C’était une décision très attendue par notre communauté et le fruit d’un long travail de plusieurs dizaines d’années avec le Saint-Siège ! Après la mort de mon prédécesseur, le cardinal Varkey Vithayathil, décédé le 1er avril 2011, nos responsables réunis en synode ont ainsi pu choisir pour la première fois celui qui allait les guider à la tête de l’Eglise. J’ai été élu Archevêque majeur de l’Eglise syro-malabare le 24 mai à Cochin et confirmé deux jours plus tard par Benoît XVI, le 26 mai 2011 (2).

Pensez-vous poursuivre la politique de votre prédécesseur visant à l’extension de la juridiction de l’Eglise syro-malabare aux communautés de fidèles sous administration de l’Eglise latine ?

Oui, sans aucun doute. La question de la territorialité des juridictions est la principale difficulté que nous rencontrons dans nos relations avec Rome. Nous revenons régulièrement sur cette question, comme lors de la visite ad limina à Rome en avril dernier, où tout les évêques syro-malabars ont à nouveau demandé au pape Benoît XVI que l’autorité accordée sur notre territoire propre, puisse être étendue à toute l’Inde, ainsi qu’aux pays où les fidèles de notre communauté sont aujourd’hui nombreux, comme la région du Golfe persique, l’Europe ou encore l’Australie (3).

C’est un problème qui remonte à l’empereur Constantin ; c’est lui qui a légué à l’Eglise cette manière de penser l’Eglise, davantage comme un pouvoir canonique et territorial, que comme une communion de croyants, vision qui est plus dans la tradition des Eglises orientales. Nous n’avons d’ailleurs pas de problèmes concernant les territoires ecclésiastiques et l’évangélisation entre nos différentes Eglises orientales.

Mais la situation évolue petit à petit. Au tout début, lorsque nous avons retrouvé notre rite oriental, nous n’avions juridiction que sur une partie du Kerala, région d’origine de notre communauté. Puis, après de longues années de revendications auprès du Saint-Siège, nous avons obtenu l’ensemble du Kerala, et ensuite quelques territoires dans les Etats voisins, au Karnataka et au Tamil Nadu. C’est ce que l’on appelle « le territoire propre », celui sur lequel nous avons juridiction, et qui recouvre aujourd’hui 18 diocèses. En tout, l’Eglise syro-malabare compte à l’heure actuelle 28 diocèses (éparchies) dans toute l’Inde, plus un diocèse à Chicago, aux Etats-Unis.

Peu après votre élection, vous avez décidé de lancer « l’année de la mission ». Comment exercez vous la pastorale et la mission dans les diocèses qui ne relèvent pas de votre juridiction ?

C’est justement le cœur du problème. Le chevauchement des territoires ecclésiastiques des différents rites rend complexes l’exercice de la pastorale mais aussi de l’évangélisation. En dehors du « territoire propre », les diocèses syro-malabars sont sous la juridiction de l’Eglise catholique latine mais restent sous l’autorité spirituelle et liturgique du primat [Mar Alencherry – NDLR]. Dans les grandes villes comme Bangalore, Delhi ou Chennai (Madras), il y a beaucoup de chrétiens qui voudraient suivre la tradition et le rite syro-malabars mais qui ne le peuvent pas parce qu’ils sont sous la juridiction canonique de l’Eglise latine, et qu’ils ont du mal à faire reconnaître leur droit à pratiquer leur rite.

[..]

La catéchèse a toujours occupé une place importante dans votre ministère. Pensez-vous qu’il s’agit d’une question majeure pour l’Eglise de l’Inde ?

C’est une question majeure pour toute l’Eglise et pas seulement pour l’Inde. Je suis convaincu qu’avec l’eucharistie, la catéchèse forme l’expérience de la foi. J’ai dit au pape que nous n’avions pas fait dans l’Eglise universelle notre devoir au niveau de la catéchèse et je regrette qu’il n’y ait pas de Congrégation pour la catéchèse comme il y en a une pour la Propagation de la foi (Evangélisation des peuples). La rédaction du Catéchisme de l’Eglise catholique a été une excellente chose. Mais nous devons aller plus loin.

Cela a toujours été l’un des points centraux de mon sacerdoce : dès que je suis revenu de France, je me suis impliqué très fortement dans la catéchèse, que j’ai dirigée au Kerala pour les trois rites catholiques et ai publié plusieurs ouvrages afin de servir les besoins en catéchèse de l’Eglise syro-malabare (5). Je pense que pour développer la catéchèse, le système de « l’école du dimanche » est le plus efficace et le plus réaliste. Dans des pays très laïcisés comme les vôtres, il est difficile de faire entrer la catéchèse dans le cadre de l’école ou des loisirs. Avec l’école du dimanche, le catéchisme suit la messe et l’accompagne. Mais il faut, c’est certain, une implication des parents qui n’est pas toujours acquise ! Il y a les départs en week-ends et l’impression que la catéchèse ne concerne pas les parents. C’est une erreur…

Quelles sont les principales orientations que vous souhaitez donner à votre mandat ?

J’ai pris comme devise épiscopale « Au service du dialogue de la vérité et de l’amour ». Dieu est dialogue de la vérité et de l’amour et l’Eglise doit poursuivre cet échange : tout comme Jésus est le logos, elle se doit d’être dialogos.

C’est dans la vérité et l’amour que le Christ a donné sa vie pour l’humanité et est ressuscité. A tous les niveaux de l’Eglise, des évêques aux laïcs, tous doivent être dans cette dynamique de dialogue, un dialogue qui doit aussi se faire avec les chrétiens qui ne sont pas de notre communauté et avec ceux qui cherchent Dieu dans les autres religions.

Avec cette vision de la foi, nous ne serons jamais désespérés face aux épreuves et nous aurons le courage et l’espérance nécessaires pour affronter toutes les situations, en sachant qu’en tout, le Christ nous a précédés et qu’il nous a tracé un chemin de victoire sur le Mal.

Nous sommes à un carrefour, un temps de crise où l’Eglise doit donner la direction que Dieu lui-même a montrée : l’amour du prochain et l’offrande de soi. Nous devons avec courage, renouveler de l’intérieur la société, nous préparer à sacrifier notre confort et nos certitudes et demander la grâce de la conversion des cœurs pour notre prochain.

En tant que chrétiens, c’est par l’exemple que nous pouvons faire passer notre message d’amour, incompréhensible pour tous ceux qui vivent dans l’esprit du monde. Comme le Christ qui s’est sacrifié pour libérer l’humanité, les chrétiens doivent tout donner pour les autres. Une vie donnée et sacrifiée sera toujours reconnue par les autres, même s’il y aura aussi toujours des persécutions. Tout chrétien doit s’y attendre car nous prêchons quelque chose qui va à l’encontre du désir naturel de l’homme.

Je pense que nous sommes à l’heure cruciale où l’Eglise doit réfléchir sur elle-même et répondre aux problèmes de l’humanité et à ceux qui existent aussi dans son sein. L’Eglise doit être consciente de ce qui se passe dans le monde au niveau social, politique, économique et éthique. Aujourd’hui, c’est la tyrannie de la sécularisation, la généralisation de la dégradation des mœurs, la mise en danger de la vie familiale et le dévoiement de la sexualité dont la spiritualité a été perdue. Nous ne devons pas être spectateurs de la décadence de la société, nous devons au contraire restaurer ces valeurs fondées sur l’amour et la vérité, que Dieu a déposés en chacun de nous. L’Eglise doit refléter ces valeurs et redevenir pour l’humanité l’expression de l’amour. Si elle n’est pas cachée sous le boisseau, elle brillera et le monde nous reconnaîtra. C’est cela le vrai défi que l’Eglise d’aujourd’hui doit relever.


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L’actu de la semaine prochaine : un article sur les propos de S.B. Alencherry lors de la conférence de presse donnée à l’initiative de l’OEuvre d’Orient.