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Martin, volontaire en Jordanie nous raconte sa mission

J’ai donc eu la chance d’être envoyé depuis septembre par l’Œuvre d’Orient en Volontariat de Solidarité Internationale (VSI) à Caritas Jordan, en Jordanie. Après huit mois à Caritas, il est grand temps de présenter ce bilan !

Le contexte historique et géopolitique 

La Jordanie est souvent présentée comme le pays stable du Moyen-Orient malgré ses frontières avec l’Irak, la Syrie et la Cisjordanie. Le Royaume Hachémite, pays islamique où 94% de la population est musulmane, jouit en effet d’un climat social et politique stable et c’est donc logiquement que de nombreux syriens y ont trouvé refuge depuis 2011 et la guerre civile qui déchire leur pays. On compte aujourd’hui 2.1 millions de réfugiés en Jordanie dont 1,7 millions sont syriens. Les Irakiens sont également nombreux ainsi que les yéménites, somaliens et érythréens. Le camp de réfugiés de Zaatari est d’ailleurs le deuxième plus peuplé du monde avec quelques 80 000 habitants. De nombreux réfugiés palestiniens sont également présents depuis 1948 puis la guerre des 6 jours de 1967. Les réfugiés constituent donc environ 20% de la population totale de 10 millions d’habitants (sans compter les réfugiés palestiniens).

La « Crise des réfugiés » comme elle est communément appelée a provoqué un déséquilibre économique conséquent dans le pays : le chômage a augmenté, les frais d’habitation également à cause de la concurrence sur le marché immobilier et le coût de l’importation a presque triplé depuis la fermeture de la frontière syrienne, en effet beaucoup de produits alimentaires sont importés depuis la Turquie et les frets utilisent donc désormais la voie maritime par la Méditerranée plutôt que la voie terrestre, qui était beaucoup plus rapide et économique. C’est donc dans ce contexte que Caritas Jordan suit sa mission.

Caritas Jordan est une grosse ONG de 480 employés et les missions s’étendent sur de nombreux secteurs. Le premier est le support des communautés réfugiées avec des soutiens d’ordre financiers et médicaux ainsi qu’un grand nombre d’actions en faveur de l’éducation avec le financement d’écoles, la sensibilisation pour les jeunes ou futures mères et le financement de « double cursus » dans les écoles pour que les enfants syriens et irakiens aient également accès à l’enseignement. Caritas cherche aussi à soutenir les irakiens, population souvent oubliée par les ONG en Jordanie à cause de la proportion de syriens. De nombreux irakiens bénéficient avec Caritas d’une assistance C4W (Cash for Work assistance). Ils sont sous statut de volontaires pour confectionner des savons, des mosaïques, des meubles etc… Et bénéficient en échange d’un soutien financier. En effet, seuls les syriens peuvent obtenir un permis de travail, et encore, sous conditions. L’ONG soutient également les communautés jordaniennes vulnérables, notamment dans les zones rurales, souvent très pauvres.

Dans un pays très riche en patrimoine chrétien, avec le lieu du baptême du Christ sur le Jourdain, le Mont Nébo où est mort Moïse, ainsi que Madaba et ses mosaïques et Aqaba où l’on trouve la plus vieille église du Moyen-Orient ; Caritas joue un rôle moteur pour les communautés chrétiennes. En effet, l’ONG propose un large champ d’actions pastorales en finançant des rénovations d’églises, les études de séminaristes et en participant également au financement de nombreuses écoles chrétiennes. Les chrétiens en Jordanie sont très minoritaires, constituant environ 4 à 5% de la population dont la grande majorité est grecque-orthodoxe. Caritas, organisation catholique latine, vise à renforcer les liens entre les chrétiens de différents rites et participe activement à de nombreuses activités avec les églises ainsi qu’avec les scouts et des chorales par exemple. De plus, une majorité des employés de Caritas est chrétienne et on y observe nombre d’exemples encourageants de musulmans et de chrétiens travaillant ensemble dans le même objectif de venir en aide aux communautés vulnérables, quelles que soient leurs origines culturelles et religieuses.

 

 

Ma mission à Caritas 

Après cette brève présentation du contexte, je peux parler de ma mission au sein de Caritas et de mon expérience, encore courte mais riche dans ce pays que je ne connaissais pas avant d’y atterrir en septembre. Ma mission s’inscrit dans le service des projets de Caritas. Il s’agit du pôle dans lequel sont rédigés les projets et élaborés les budgets et c’est également ici que nous sollicitons les donateurs européens. Mon quotidien consiste donc surtout à récupérer les données les plus récentes et de mettre à jour des fiches de contexte dans chaque secteur (niveau de vie, éducation, santé etc…), je travaille également sur le descriptif des budgets, et je participe à la rédaction de la revue de presse interne de Caritas pour la presse anglaise. J’ai également l’occasion de travailler sur des projets de pastorale aux budgets moins conséquents, où je vais sur place pour rencontrer les bénéficiaires et rédige ensuite le budget et le projet en relation toujours, avec le bénéficiaire. Les projets sont ensuite proposés à un comité interne qui valide tout ou partie du financement.

J’ai eu la chance depuis mon arrivée d’être accueilli par la famille qui réside en bas de l’appartement des volontaires, dans lequel je loge et mon intégration dans la vie jordanienne fut très aisée. Les deux fils, Rami et Chadi sont devenus des amis très proches. Les jordaniens sont particulièrement accueillant et n’hésitent pas à donner un coup de main ou à offrir un café. La vie au bureau est assez différente de ce que j’ai pu connaître en France, on place l’aspect social au centre, la pause-café est importante et dans mon service, on se sent un peu en famille ! Je trouve les actions de Caritas remarquables car c’est une association catholique qui arrive à promouvoir et faciliter la vie des communautés chrétiennes en Jordanie tout en aidant des bénéficiaires à grande majorité musulmane. Dans des pays où les chrétiens constituent une minorité, il est nécessaire que leurs actions s’inscrivent dans la logique démographique sous peine de s’isoler complètement. Ces communautés s’inscrivent dans des pays où elles sont ultra minoritaires, mais constituent un rôle important notamment dans l’éducation. Les écoles chrétiennes en Jordanie forment souvent les meilleurs étudiants, dont la plupart sont musulmans. L’Œuvre d’Orient l’a très bien compris en finançant des projets au profit de communautés chrétiennes au Moyen-Orient.

En partant en Jordanie je pensais avoir davantage d’occasion de missions de terrain et de rencontrer des bénéficiaires. Cependant, je ne parlais pas du tout arabe en arrivant en septembre or l’immense majorité des bénéficiaires ne parle pas anglais et mon rôle sur le terrain se serait limité à de l’observation. J’ai cependant eu quelques occasions de rendre visite à des bénéficiaires par exemple à Ma’an en décembre. Ma’an est une petite ville très conservatrice au sud de la Jordanie et les habitants y vivent de manière très tribale, très communautaires, entre familles. Nous y étions allés pour une « winter distribution » nous donnions à une liste de bénéficiaires (des familles jordaniennes vulnérables) des couvertures, un petit chauffage électrique ainsi que du matériel scolaire pour les enfants. Ce fut une drôle d’expérience car dans un village comme Ma’an, je ne pouvais pas m’adresser aux femmes par exemple, et au sein même du village, les femmes et les hommes de familles différentes ne peuvent pas se parler. Nous avions dû prévoir deux files d’attentes, une pour les hommes, une pour les femmes. Nous avions même failli interrompre la distribution quand une rixe entre deux familles « ennemies » a éclatée.

J’ai suivi des cours d’arabe assidûment depuis octobre, et j’arrive désormais à peu près à comprendre et me faire comprendre. En mars lors de la fête des mères, nous sommes allés avec l’équipe des projets, rendre visite à quatre couples sans enfants, comme pour leur montrer que si les festivités du jour sont pour les mamans, nous pensions particulièrement à ceux qui n’ont pas eu la chance d’avoir des enfants.

Nous leur avons donc fait un petit cadeau très pratique : un étendoir pour le linge et un jeu de casseroles. Notre quatrième visite nous a amené à un appartement étriqué aux allures de cave où vivait une femme d’une quarantaine d’années avec son père de plus de 85 ans, qui était allongé dans le lit. Ce dernier avait une blessure au pied, ne pouvait pas se déplacer. Cette pauvre femme était irakienne et n’obtenait aucune aide de personne. Toute sa famille avait pu partir aux États-Unis car ils possédaient un visa américain, mais elle avait préféré rester auprès de son père qui, lui, n’avait pas de visa. La fille pleura en nous expliquant que son père n’avait pas pu être hospitalisé à Amman car les étrangers n’ont pas d’assurance et en tant qu’irakiens, aucune organisation sinon Caritas ne les soutenait financièrement. Comme je l’expliquais précédemment, les réfugiés irakiens bénéficient de très peu d’aides extérieures, et encore moins d’aide gouvernementale. Ils sont pourtant plus de 80 000 dont beaucoup de chrétiens de la plaine de Ninive. Nous avons bien sûr indiqué après à la visite au service humanitaire de Caritas les conditions de cette femme et son père.

J’ai appris beaucoup depuis mon arrivée, et j’ai découvert une nouvelle culture très forte. Les Jordaniens sont accueillants et généreux, ils sont aussi très fiers et un peu susceptibles un peu comme… nos ancêtres les Gaulois ! Parler l’arabe me permet de discuter facilement avec les locaux, notamment dans les taxis que j’utilise beaucoup (les transports en commun sont presque inexistants) avec les chauffeurs et de découvrir ainsi un peu mieux la manière dont les gens vivent. J’ai appris sur le plan professionnel, en travaillant sur les projets et les budgets ; sur le plan intellectuel, en mettant à jour toutes les données possibles et en suivant assidument la presse locale et du Moyen-Orient en général, mais j’ai surtout beaucoup appris sur le plan humain : en travaillant aux côtés de Jordaniens et de Jordaniennes qui mettent le cœur à l’ouvrage, dédiant leur vie aux plus démunis dans une ambiance de travail exceptionnelle. De plus, la Jordanie est un pays splendide que je vous invite à visiter, autant pour son patrimoine chrétien exceptionnel que j’ai déjà cité, que pour ses merveilles humaines ou naturelles : Pétra, Wadi Rum, la mer Morte, Jerash et bien d’autres splendeurs encore.

 

Pour conclure, je crois que le Jordanie constitue un exemple extraordinaire dans l’accueil de réfugiés, pour le Moyen-Orient mais aussi pour l’Europe. En Jordanie, la population entière s’est sacrifiée, surtout d’un point de vue économique, pour venir en aide à des millions de réfugiés.

J’espère que ce petit témoignage exposera un peu mieux la situation dans ce petit pays qu’est la Jordanie et pourquoi pas, qu’il donnera envie à d’autres jeunes de se lancer dans l’aventure… Elle vaut la peine d’être vécue !

Martin