• Actualités

"Par leurs œuvres, les chrétiens au Moyen-Orient détiennent encore une capacité d'intervention"

Extraits de l’interview paru dans le Journal La Nef

La Nef : Quelle est la situation des chrétiens du Proche-Orient aujourd’hui ?

Mgr Pascal Gollnisch : Il faut d’abord remarquer qu’en chiffres absolus, ils sont plus nombreux qu’au début du siècle dernier. Il n’y a donc pas une disparition inéluctable. Mais en chiffres relatifs, ils sont marginalisés par la démographie dynamique des musulmans, beaucoup plus que par l’exil. Ils sont devenus de petites minorités :

  • 3, 5, ou 10 % au maximum en Égypte, et encore ce sont les chiffres des organisateurs, si je peux dire.
  • Ils sont encore 45 % au Liban,
  • mais 0,05 % en Turquie ou en Iran.

Ils ne sont donc pas en situation de représenter une force sociale ou politique. On ne les compte plus comme force, mais ils détiennent encore une capacité d’intervention à travers leurs œuvres : les écoles, la santé, le soutien à la population, etc. En Jordanie, par exemple, toutes les princesses de la famille royale sont formées chez les Sœurs. Reste donc ce rayonnement exercé par toutes leurs œuvres scolaires ou sanitaires.

La Nef : Quelles sont les raisons de l’exil de ces chrétiens ?

Cet exil a souvent des causes économiques. Comme généralement dans le Sud, les gens veulent partir et aller vers un Nord imaginé comme un pays de cocagne, vers une Europe rêvée comme un eldorado. Les chrétiens n’échappent pas à cette tentation.
Il faut ajouter à cela les discriminations dont ils sont victimes : ils sont souvent des « sous-citoyens » n’ayant pas accès à toutes les fonctions. Il est en général prévu que le chef d’État soit un musulman, et les musulmans risquent la mort en cas d’abandon de leur religion pour une autre. De même, dans un conflit judiciaire, la voix du chrétien compte moins que celle du musulman. Enfin, il y a les difficultés de voisinage…
Quant aux persécutions, au sens juridique précis de ce terme (qui suppose des attaques organisées, massives, répétées), elles sont aujourd’hui essentiellement le fait de Daech.

La Nef : Les chrétiens risquent-ils de disparaître à terme du Proche-Orient ?

Oui, cela se peut, mais pour le moment certains ont décidé de rester, comme en Égypte par exemple. En Irak, beaucoup sont partis mais ils sont encore 300 000. Ils nous renvoient à notre responsabilité : ils peuvent rester mais à condition de pouvoir vivre dans la dignité et la sécurité. La communauté internationale doit intervenir, surtout face à la progression de Daech, qui représente un recul civilisationnel terrifiant qui se déroule sous nos yeux. Comme ces images du pilote jordanien brûlé vif, ou les 21 Coptes égorgés face à la mer pour menacer l’Europe.

Ces gens sont massacrés comme des chiens, les cités antiques détruites, et même des mosquées chiites, les monuments yézidis, etc. En sus, des milliers d’Européens sont venus les rejoindre, de cette Europe désignée ironiquement comme le «Royaume de la Croix».

Et que faisons-nous ? La prise de Palmyre est symptomatique : si vous avez déjà vu Palmyre, vous savez que c’est une ville au milieu d’un désert tout plat et qu’il était très facile pour une aviation d’intervenir pour empêcher la prise de cette cité antique.

La Nef : Quels sont les soutiens de Daech ?

Il faut déjà écarter la thèse complotiste qui a cours dans certaines régions proche-orientales selon laquelle l’Occident serait derrière Daech. C’est évidemment faux. Pour l’Arabie Saoudite et le Qatar, le soutien qu’ils ont pu lui fournir est terminé. Car un homme comme al-Baghdadi qui se proclame calife menace immédiatement tous les pouvoirs sunnites (Arabie, Maroc, Jordanie…).

Mais le rôle de la Turquie n’est pas clair. Selon moi, elle joue un triple jeu :

  • avec l’Occident ;
  • avec les Kurdes ;
  • avec les sunnites.

C’est par la Turquie que transitent aujourd’hui armes, munitions, djihadistes, pétrole, etc. Personne ne maîtrise non plus les mouvements financiers dont son territoire est la plaque tournante.

La Nef : Comment situez-vous l’islamisme de Daech par rapport à l’islam ?

  • Il est sûr que Daech se réclame de l’islam, et que le « padamalgame » se révèle insuffisant pour comprendre la situation. Il faut d’abord que se développe une théologie qui montrerait en quoi cette radicalisation n’est pas fondée. Et cela, seuls les musulmans eux-mêmes peuvent le faire. Car on peut manipuler le Coran dans tous les sens et lui faire dire ce que l’on veut. Il ne suffit pas que le CFCM (Conseil Français du Culte Musulman) fasse une déclaration. La première cause tient à ce qu’il n’y a plus de hiérarchie dans l’islam sunnite depuis 1922 et à la disparition du sultan.

Si al-Baghdadi affirme qu’il est le nouveau calife, qui peut lui rétorquer que non ?

  • L’autre cause est que la séparation entre le politique et le religieux n’est pas claire en islam : l’Arabie Saoudite et le Qatar, alliés de l’Occident, ne sont pas des champions des droits de l’homme !
  • Enfin, le laïcisme qui a cours en Occident provoque un retour du religieux sous une forme violente. Ici, on est dans l’athéisme d’État. Et l’islam est un monothéisme à vocation universaliste, mais sans incarnation, sans rédemption. Le Christ a lavé les pieds de ses disciples ; l’islam, lui, ne connaît pas la kénose ni le pardon. Le christianisme a commencé à se répandre par la persécution des chrétiens eux-mêmes ; l’islam s’est propagé par la conquête armée et violente. On voit toute la différence originaire.

Propos recueillis par Christophe Geffroy et Jacques de Guillebon pour La Nef