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Roumanie 3/3 Mgr Florentin Crihălmeanu, un évêque à la croisée des générations.

« Je crois que ma maman était plus émue que moi » ajoute-t-il dans un français parfait, transmis depuis trois générations par un arrière-grand-père alsacien qui fut consul de France en Roumanie. En 1990, aucune des églises ni cathédrales n’avaient été rendues, et les messes étaient célébrées dehors, devant l’ancienne cathédrale gréco-catholique. A chaque fois qu’il traverse cette place, il ne peut s’empêcher de penser à ce jour si particulier.

 

Il a le regard doux, perçant, parfois gentiment ironique, le silence entre deux phrases des grands spirituels. L’humilité, le sens du service et de l’accueil, des hommes de foi que les titres embarrassent plus qu’ils ne les flattent.  Né en 1959, soit 11 ans après le début de la dictature communiste, il raconte qu’enfant, il ne se sentait pas opprimé, que ce n’est qu’en grandissant qu’il a compris. « A cet âge-là, on est un peu comme un poisson dans un lac, ou dans un bocal, on n’imagine pas la possibilité de l’océan. On se contente de ce que l’on a. Nous avions accès à la télévision uniquement l’après-midi, et le lundi, il n’y avait pas de télé du tout !  Je me nourrissais de quelques films américains, et comme tous les jeunes garçons, je m’imaginais pilote de navire ou aviateur. Nous savions que nous étions catholiques, mais sauf situation exceptionnelle, nous n’allions pas à l’église orthodoxe, mais chez les catholiques latins ».  De fait sans renier leur foi, de nombreux gréco-catholiques ont voulu continuer à pratiquer et suivaient le rite orthodoxe, en langue roumaine, tandis que d’autres se rendaient dans les églises catholiques latines, célébrées en langue hongroise, donc moins accessible à la plupart des Roumains.

Mgr Florentin explique qu’il a ainsi dû faire deux fois sa première communion, à Iaşi, chez les catholiques latins en hongrois, dans le village de sa grand-mère, puis à Cluj, chez les orthodoxes en roumain. « En fait, on ne parlait pas tellement de ce qui se passait, de cette situation un peu incongrue, il ne fallait pas trop questionner non plus, c’était une époque où l’on n’interrogeait pas ses parents ».

A la fin du lycée, il décide avec son frère de ne plus fréquenter l’église, parce qu’ils ne comprenaient rien en hongrois, cela n’avait pas de sens à leurs yeux. Les jeunes frères continuent à assister à la messe les jours de fêtes, mais ils ne communient plus. « Maman a été déçue, elle a toujours été la flamme constante de la foi à la maison. Cependant elle a accepté notre décision. ». En 1975, les messes de rite latin en roumain sont autorisées. « Ça a été une bulle d’oxygène, j’ai recommencé à aller à l’église, sans communier pour autant. Mais il y avait un père piariste qui prêchait très bien et très court ! »

Plus jeune, avant sa défiance envers l’Eglise, l’évêque confiait avoir un grand respect pour le prêtre, mais jamais n’avoir pensé être à sa place, « c’était inaccessible, trop ambitieux, je le voyais comme un saint ». Les années passent, le jeune adulte, sans trop se poser de questions, suit la voie de ses parents tout deux ingénieurs chimistes, après son service militaire. Après l’école Polytechnique, c’est finalement la voie des copains qui l’emporte et il se spécialise en mécanique comme eux.

Cette année-là, en 1986, le futur évêque a 27 ans, vient d’être diplômé ingénieur mécanique et commence à travailler. Comme à son habitude, il continue à fréquenter l’église pour les fêtes, et c’est à la célébration de la Pentecôte, que sa vie va prendre un tour inattendu. « Il y avait beaucoup de monde à la messe, je me glisse dans la foule comme je peux mais je sens que je m’évanouis. Je tombe sur la personne devant moi puis par terre. On m’a donné les premiers soins et une personne m’a sorti sur le parvis de l’église. Je l’ai regardé, encore dans les vaps, et j’ai comme photographié son visage. Je ne sais pas trop pourquoi, son visage est resté gravé en moi comme cela. Il me dit de ne pas bouger, qu’il allait m’apporter de l’eau. Mais ma mère est venue me chercher et on est rentrés à la maison. Il ne m’a jamais apporté d’eau donc ! ».

A l’automne de la même année, il revient à l’église pour la première fois depuis la Pentecôte, un homme vient vers lui et lui dit : je dois te rencontrer, viens chez moi. « Et là son visage me revient, c’est lui qui m’avait porté de l’eau, enfin qui souhaitait le faire, le jour de la Pentecôte. J’ai accepté l’invitation, un peu, surtout par curiosité. »

C’est une rencontre décisive, le début d’une longue amitié, d’un long chemin de foi, de confiance. Ils se voient régulièrement, rencontre à travers lui d’autres jeunes, avec qui il prie, chante le rosaire et joue au football. Ce n’est qu’au bout de quelques mois que l’homme lui avoue : « Je suis prêtre, mais un prêtre grec-catholique, tu sais que notre église est interdite. Si tu veux faire un grand nettoyage général, je te propose une confession. Tu vas refaire une communion et rentrer dans la vie de l’Eglise. Je te dis tout, mais tu dois être discret et de confiance ». A partir de ce moment-là, Florentin découvre un monde caché, qu’il ignorait totalement. Parmi les personnes qu’il fréquente depuis quelques mois, il réalise que se trouvent des prêtres, des personnes consacrées, des séminaristes. Les années qui suivent sont faites d’études clandestines, d’une vocation qui s’esquisse. Jusqu’à ce que le prêtre qui l’avait initié lui dise de ne plus venir, cela devenait trop dangereux, il était connu des services de police et comme tous les prêtres grecs-catholiques non emprisonnés, il devait faire un rapport régulier, celui qu’ils appelaient le Professeur, ne voulait pas compromettre Florentin. Avec pudeur, celui-ci, en se remémorant ces années clandestines, murmure : « je n’ai pas souffert de ce chemin, Dieu m’a donné beaucoup de consolation, j’ai toujours senti que c’était ma voie ».

Le 19 décembre 1989, tous les ouvriers sont dans la rue, les chars sont aux aguets. Une semaine plus tard, le couple Ceausescu est exécuté, la nuit de Noël. L’église gréco-catholique est formellement libre mais sans pouvoir récupérer ses biens. En février 1990, Florentin peut commencer officiellement des cours de théologie, le soir après son travail d’ingénieur. Le 10 octobre, il est envoyé à Rome pour quatre ans. Il se remémore avec tendresse et admiration l’un de ses éminents professeur, Mario Erbeta, qui connaissait 22 langues. « Il était très patient et avait toujours des habits rapiécés ! Avec un de mes amis roumains, il a commencé par nous demander si nous savions lire ! Cela nous a tellement vexé que nous avons mis les bouchées double être les meilleurs. Il s’est pris d’affection pour nous, et comme nous étions pauvres, il nous emmenait au restaurant et faire des visites. Il y avait un même un magasin où il a demandé aux sœurs de presque tout nous donner !  ». Son regard se perd un peu à l’évocation de cet homme qui a tant compté pour lui, mais il se reprend vite, comme pour chasser la nostalgie.

« Rome a été une expérience fascinante, j’ai écrit quatre cahiers de ce que je comprenais, des méditations, une sorte de journal de bord. A mon retour, j’avais 14 cartons de livres, j’habitais au séminaire, c’était pour moi une grande joie, même s’il n’y avait pas de chauffage, d’eau, et qu’on ne mangeait pas bien ! » Il donne alors des cours à la faculté de théologie puis devient le plus jeune vicaire général, en 1994. Il évoque lui aussi Mgr Gheorge Gutiu, son prédécesseur, « il était à la disposition de Dieu, et n’avait aucun attachement, et disait que là était la liberté. Ils n’aimaient pas les accoutrements, il fallait le pousser à prendre son rôle au sérieux ! Je l’ai admiré, après quatorze années de prison, il n’était pas devenu fou. Il n’en parlait jamais. »

En novembre 1996, le nonce l’appelle de Bucarest : le Pape t’a nommé auxiliaire de Mgr Gheorge. Il comprend vite que lui reviendra la charge de prendre sa suite. Il hésite, pétri de doutes, « je ne savais pas quoi prier ! J’ai regardé le sourire de Jésus sur le tabernacle, et ça eu un effet bénéfique, ça m’a rempli de joie et j’ai dit oui. Voilà. Ce qui m’a toujours porté est la joie de vivre, de faire quelque chose pour les hommes et pour Jésus, et ne de ne rien mettre au-dessus de Lui. Depuis 2002, je suis donc devenu évêque, et il y a beaucoup à faire. Construire des églises, donner du courage surtout. L’œuvre d’Orient nous aide énormément pour tout cela. Se réconcilier aussi.  J’aime l’œcuménisme simple, celui qui passe de personne à personne. »