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Terre-Sainte : "Une terre de défis pour les chrétiens" - Mgr Shomali évêque auxiliaire du patriarcat latin de Jérusalem

Quels sont les défis du christianisme en Terre-Sainte ?

Le premier défi est démographique. Après 2000 ans, il reste encore des chrétiens à Jérusalem. Malgré leur diminution très importante, les chrétiens comptent pour 2%, en Jordanie, en Israël et Palestine. Ces 2% représente 400 000 personnes, dont la majeure partie sont arabes, la communauté de langue hébraïque étant réduite. Il y a aussi environ 200 000 travailleurs étrangers chrétiens, dont on s’occupe, soit en Israël, soit en Jordanie. Certes le pourcentage de chrétiens se réduit, mais je ne suis pas pessimiste pour l’avenir. C’est le Christ qui doit s’occuper de son église. Cela dépend de lui qu’elle fleurisse et qu’elle continue à faire sa mission.

Le deuxième défi est œcuménique. Nous sommes peu mais divisés en trois églises différentes, familles catholique, orthodoxe et protestante. Ce sont surtout les catholiques et les orthodoxes qui sont majoritaires en Terre Sainte. Dans le passé, les relations œcuméniques étaient tendues surtout à cause des lieux saints. Les Turcs ottomans ont créé un statut quo pour empêcher les disputes entre les diverses confessions chrétiennes à l’intérieur des lieux saints. Ce régime de statut quo continue à fonctionner malgré toutes ses limites objectives et malgré le fait qu’il ne correspond pas au besoin actuel. Au Saint-Sépulcre par exemple on ne peut pas utiliser un microphone car quand les turcs ont imposé le régime du statut quo en 1952, il n’y avait pas de microphone ! Les relations sont cependant meilleures aujourd’hui et se sont traduites avec la restauration de l’église de la Nativité à Bethléem et la restauration commune de l’édicule (le petit édifice au-dessus du tombeau du Christ). Pour l’avenir nous attendons encore d’autres pas ! Par exemple l’unification du calendrier de Pâques, et de Noël. Nous rêvons d’une amélioration dans les relations bilatérales avec les orthodoxes.

Le troisième défi est de nature interreligieuse. Jérusalem est sainte pour les trois religions. Parfois deux ou trois religions se disputent à cause d’un lieu saint. Le mont du Temple par exemple, qui est sacré pour les juifs s’appelle aussi al-Aqsa chez les musulmans qui y commémorent l’ascension mystique de leur prophète au ciel. Ces derniers ont la possession du lieu actuellement malgré les revendications des juifs qui veulent y entrer et prier. Cela crée une tension très grave au mont du Temple. En outre ce lieu est aussi sacré pour nous puisque Jésus a visité le Temple. Il a prié, fait des miracles, a prêché. Il en a chassé les vendeurs et avait promis de le reconstruire en trois jours. C’est pour cela que tous les Papes venus en visite ont fait un pèlerinage dans ce lieu. Un autre endroit revendiqué par les trois religions est le Cénacle. Il est le deuxième lieu le plus saint de la chrétienté. Il est plus important que Rome, Lourdes, ou Fatima car Jésus y a institué l’Eucharistie, et l’Esprit Saint y est descendu sur les apôtres. Au 10ème siècle les croisés l’ont transformé en chapelle, puis les musulmans l’ont occupé au 15ème siècle car il se trouve au-dessus du tombeau de David. En 1948 enfin, les juifs ont repris le lieu car la famille à qui il appartenait était absente donc l’état israélien l’a récupéré (pour les Israéliens c’est également un lieu important car il est au-dessus du tombeau de David). Dans les accords entre le Saint-Siège et l’État israélien (qui n’ont pas encore été signés) les Israéliens permettraient aux chrétiens catholiques d’utiliser ces lieux de 6 heures du matin à 8 heures pour des prières et des messes. Mais les juifs orthodoxes et les musulmans ne veulent pas entendre cela… La tension pourrait davantage augmenter si cet accord était ratifié.

Il y a malgré tout une certaine forme de dialogue interreligieux à Jérusalem, mais il prend la forme d’un dialogue bilatéral entre chrétiens et juifs d’une part, et entre chrétiens et musulmans d’autres part. Il n’y a pas un dialogue tripartite, excepté de façade. À cause de la tension au Mont du temple, les musulmans évitent de trop dialoguer avec les israéliens. À l’avenir on espère que le dialogue interreligieux pourra être plus profond, plus fructueux. C’est facile d’organiser des rencontres interreligieuses sur l’écologie ou le climat, mais il faut parler des problèmes essentiels, la violence, la paix.

Le quatrième défi est l’absence de la paix. C’est un défi politique. En 80 ans, il y a eu dix guerres entre la Palestine et Israël, et comme les mêmes causes produisent les mêmes effets, il faut s’attendre à d’autres guerres si on ne trouve pas de solutions au problème. La difficulté, c’est que derrière les revendications de chacun se trouve une idéologie avec un arrière front religieux. Les Israéliens acceptent les deux états, mais pas selon la frontière de 1948. Pour eux toute la Palestine devrait être juive par promesse divine… Quand les Palestiniens vont au conseil de sécurité pour demander la reconnaissance de l’état palestinien, il y a un véto américain. Mais au bout de vingt négociations avec l’Etat israélien, on en est toujours au même point, et les colonies continuent à se construire malgré une résolution des Nations-Unies…

Nous sommes dans un Moyen-Orient qui bouillonne, il y a le problème syrien, irakien, libyen, yéménite etc… qui ont rangé la question israélo-palestinienne au second plan. Mais nous comme chrétiens nous savons qu’il y a une solution. Elle vient de Dieu, grâce à la prière. L’Irlande du nord, l’Irlande du sud, les murs de Berlin tombés, le communisme qui s’est retiré de l’Europe nous montre que des changements sont possibles. Il faut continuer à prier et travailler pour la paix. Il faut aussi faire l’éloge de l’initiative française, qui a présenté le projet d’une paix intégrale entre tous les pays arabes et Israël, sur la base de la frontière de 1948. Israël gagnerait la reconnaissance du monde arabe, gagnerait la paix et les Palestiniens auraient leur état. Nous espérons que cette proposition aboutisse.

Le dernier défi c’est la radicalisation de l’Islam politique. Il y a un Islam avec lequel on peut vivre, travailler, dialoguer, mais il y a un Islam politique qui veut imposer ses valeurs, ses mécanismes et qui peut s’infiltrer très rapidement à travers les pays à travers les moyens de communication sociale, les médias. Je pense que cette radicalisation est une réaction de l’intrusion de l’Occident dans les affaires de l’Orient. L’invasion américaine en Irak en 2003 a causé une réaction islamiste radicale. C’est vrai qu’al-Qaïda existait avant, mais le groupe Daesh est bien plus dur. J’ai une prière à faire, c’est que l’Occident ne se mêle pas des affaires de l’Orient.

Nous vivons ainsi en Terre sainte avec beaucoup de défis. Certains défis dépendent de nous, d’autres non, mais de l’Occident, ou de l’Islam lui-même ou de l’État d’Israël. Comme chrétiens nous devons faire notre part, vivre la charité entre nous, vivre l’œcuménisme, éviter la mentalité du ghetto. Nous attendons aussi que l’Islam évolue et qu’il soit plus accueillant avec les non-musulmans.

Vue sur la ville de Jérusalem

Quelles sont les difficultés concrètes pour les chrétiens de Terre Sainte ?

Il y en a surtout pour les chrétiens de Palestine. 30% des jeunes sont sans travail à Beethléem, Ramallah…. Et même lorsqu’ils touchent un salaire, cela ne leur permet pas de vivre en dignité. Il y a des restrictions dans la circulation, ils n’ont pas leur monnaie ; ils n’ont pas d’état au sens propre. Les conséquences sont que beaucoup de jeunes quittent le pays pour un avenir meilleur.

En Israël et Palestine, l’Église catholique influence beaucoup la vie sociale. Il y a un an par exemple nous avons terminé un projet de logement pour quatre-vingts familles chrétiennes de Jérusalem. Nous avons cent écoles catholiques dans le pays, douze petits hôpitaux, deux Caritas, des universités catholiques, une à Bethléem, l’autre à Madaba en Jordanie, des ONG chrétiennes qui aident beaucoup dans le secteur humanitaire, et beaucoup de cliniques…

 

Propos recueillis par ASSM