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Vera Baboun, femme de paix, à la tête de la ville palestinienne de Bethléem

Nichée sur la place de la Mangeoire, derrière son large bureau en noyer, Vera Baboun vous donne tout de suite un sentiment de force tranquille. Assise entre deux gigantesques portraits de Yasser Arafat, héros national et Mahmoud Abbas, président de l’autorité palestinienne, elle occupe la fonction de maire de Bethléem depuis octobre 2012 après une campagne électorale “qui n’a pas été facile”.

Son anglais parfait lui a valu un master en littérature afro-américaine et un enseignement dans cette matière à l’université de Bethléem.  Sa voix posée et déterminée semble imperturbable. Elle ne s’arrête de parler que pour écouter le muezzin de la mosquée d’Omar située à quelques mètres, ou les cloches de la basilique de la Nativité, celle-là même où Jésus serait né, celle-là aussi qui a accueilli l’enterrement de son mari et sur laquelle les fenêtres de son cabinet offrent une vue plongeante.

La première femme maire de la ville a dû essuyer les regards de travers, les critiques et les coups bas d’une classe politique patriarcale et conservatrice, “mais c’est le jeu en politique” affirme-t-elle en replaçant machinalement ses lunettes sur sa tête pour dégager son visage de son épaisse chevelure. N’empêche, dans son cas à elle le jeu est allé très loin. Des tracts diffamants, aux menaces de mort en passant par l’attaque violente de sa voiture, ses opposants n’ont pas eu de problèmes à s’adonner aux coups en dessous de la ceinture. Une femme, catholique, veuve et indépendante qui remporte la mairie alors que le conseil municipal était auparavant dominé par les islamistes du Hamas, ça a fait grincer des dents. Mais hors de question pour cette mère courage de baisser les bras.

Rancunière Vera Baboun ? Pas pour deux sous. Elle a la trempe de ceux qui savent encaisser les coups, la dignité de ceux à qui la vie n’a pas fait de cadeaux : “Nous les femmes palestiniennes nous devons faire face aux défis de l’occupation israélienne, nous sommes les épouses des prisonniers, ou prisonnières nous-même, nous sommes les mères des martyrs et parfois martyres nous-mêmes”.

L’élue parle en connaissance de cause. Fin des années 1980  pendant la première Intifada son mari a été emprisonné pendant plus de trois ans par Israël. A sa mort, il y a bientôt dix ans, c’est à nouveau seule qu’elle a dû éduquer ses cinq enfants aujourd’hui âgés de 20 à 30 ans. Sans amertume, elle résume simplement d’une phrase sa vie  : “comme beaucoup de Palestiniennes, on peut dire que j’ai accumulé une certaine expérience de la souffrance”.

Administrer Bethléem, une ville étranglée par le conflit

Bethléem a beau être la ville de la paix pour les chrétiens, en se promenant dans ses ruelles pavées on risque fort de s’écraser le nez sur la réalité du conflit israélo-palestinien : un mur de béton de huit mètres de haut. « Notre ville est étranglée par le mur de l’apartheid (barrière érigée par les Israéliens, qui sépare la Cisjordanie d’Israël, jugée illégal au regard du droit international, ndlr), nous sommes totalement coupés de Jérusalem et les colonies nous empêchent de nous développer ”. Peu causante quand on parle d’elle, c’est en évoquant sa ville, où elle est née et a grandi, que ses yeux clairs s’illuminent.

De fait pour Vera Baboun le premier des combats c’est celui pour l’indépendance de son pays car “il n’ y a que quand nous aurons notre liberté que nous pourrons enfin parler d’égalité des genres, d’éducation, de santé, de justice…”. Cela ne veut pas dire que pour ces sujets importants il n’y a rien à faire. Depuis qu’un système de retraite a été mis en place dans les Territoires palestiniens, elle se bat pour que les travailleuses palestiniennes soient mieux couvertes : “beaucoup de femmes qui travaillent dans l’agriculture ou avec leur mari ne sont pas déclarées. En Palestine, seules 17 % d’entre elles le sont ! Le chemin est encore long et nous avons beaucoup, beaucoup de travail”.

Féministe, tendance Shéhérazade

La femme de pouvoir a du mal à se définir elle-même comme féministe même si elle cherche souvent son inspiration du côté des femmes qui ont influencé le monde. De son mémoire sur les femmes dans la littérature, elle retient l’exemple de Shéhérazade “une femme qui a réussi, une experte de la parole qui savait maîtriser ses capacités, a su s’en servir et s’est portée volontaire pour éviter un massacre”. Elle voudrait que “les femmes qui n’ont pas le choix, qui ne peuvent pas vivre selon leurs propres règles” retiennent cette règle-là : « toujours croire en sa propre voix, c’est la meilleure façon pour que d’autres y croient aussi”.