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[LIBAN] Le témoignage de Lucile : " La résilience des enfants malgré les nombreuses difficultés qu’ils traversent m’inspire beaucoup "

Lucile , 23 ans, étudiante en droit des affaires est en mission à Baskinta à l’Institution sociale Saint Vincent au Liban.


Il y a trois semaines maintenant, je quittais mon nid parisien pour six mois d’aventures au Liban. « Tu verras les paysages sont magnifiques là-bas », « je connais plein de Libanais, ils sont super accueillants », « la nourriture libanaise est à tomber, tu vas revenir avec des kilos en plus » bref, à en croire mes amis, je m’envolais pour une destination de rêve. C’est donc confiante et optimiste que je franchissais les portes d’embarquement à l’aéroport d’Orly, malgré quelques petites larmes versées un peu plus tôt en agitant ma main depuis la queue pour la douane en guise d’au revoir à ma mère et mon frère.

 

I – Mon arrivée

A Beyrouth, je suis attendue par Soeur Léo, Mariam une élève de l’école et Monsieur Jean, le chauffeur de l’école. Assise sur la banquette arrière de la Jeep lancée à toute vitesse sur l’autostrad, sans ceinture, les quatre fenêtres ouvertes, je suis immédiatement plongée dans ce nouvel univers qui sera le mien pour les six prochains mois. La chaleur et le bourdonnement de la ville, les bagarres de klaxons, le mélange indescriptible d’odeurs entre celle de l’essence et celle des étalages de man’ouché : bref sans aucun doute je suis bien au Liban. Une heure plus tard, nous avons quitté l’agitation de la ville et nous sillonnons les montagnes, ce n’est plus la fumée des pots d’échappement qui fouette mon visage mais l’air froid de la montagne, Aygline avait dit vrai, il fait très froid là-haut. A l’école de Baskinta, c’est soir de fête ce 27 octobre, celle de la Saint-Vincent, de qui l’école porte le nom. Nous arrivons pile pour la sortie de la messe. Je suis accueillie par une ribambelle de soeurs que j’étais incapable de différencier, certaines de Baskinta, d’autres de Baabdat (un village voisin), d’autres de Beyrouth, par des prêtres accompagnés de leur femme et enfants (il m’a fallu quelques instants pour me rappeler que les prêtres en orient pouvaient se marier), par des élèves et leurs parents tout contents de rencontrer une Française, qui plus est parisienne. Bref, j’étais complètement perdue et je ne quittais plus Soeur Léo, mon seul repère dans toute cette foule.

Je découvre ma chambre, toute petite au fond d’un couloir, avec une toute petite ampoule en guise d’éclairage, du papier peint jaune sur les quatre murs, et un rideau bleu vif non occultant : à ce moment j’hésite vraiment entre le fou rire nerveux et les larmes. Aujourd’hui, cette chambre est mon endroit préféré et bien qu’elle soit la pièce la plus froide des trois bâtiments confondus, j’ai toujours hâte de la retrouver le soir, c’est ma petite bulle de confort, je m’y sens bien. Le lendemain de mon arrivée, je suis réveillée par la cloche de l’école qui sonne à 7h45 et je découvre avec émerveillement la vue panoramique sur les montagnes de Baskinta dont je n’avais pas pu profiter la veille puisque j’étais arrivée de nuit. L’école est perchée dans les montagnes et depuis chaque pièce, surtout depuis la salle à manger et sa terrasse, il est possible d’admirer la beauté des reliefs, de la végétation, des petites maisons aux toits oranges, et le soir à 18h les couleurs orangées du coucher de soleil. Tout est calme, simple et apaisant ici, je m’y sens immédiatement bien.

 

II – Ma mission

Ma mission a mis du temps à débuter concrètement. Je suis arrivée un mercredi soir à Baskinta et les deux jours suivants ont été des jours d’observation uniquement : j’ai visité les locaux (il y a plusieurs bâtiments, reliés par plusieurs escaliers et couloirs secrets, je m’y perdais complètement et avais même du mal à retrouver ma chambre), j’ai été présentée à l’équipe enseignante et tout le personnel de l’école puis j’ai eu beaucoup de temps libres ce qui peut être un peu déroutant au début.

La semaine suivante, j’ai vraiment commencé ma mission qui se divise en trois jobs.

La première partie consiste à faire équipe avec Mme Fida, l’éducatrice spécialisée de l’école, pour aider les élèves en difficulté. Elle les aide en arabe, je les aide en maths et français. Pour cela, tous les matins, j’assiste aux cours de Mme Rola, la prof de français, et de Mme Rosie, la prof de maths, dans les classes de EB3 (CE2) et EB4 (CM1). En fonction du programme du jour, j’aide les élèves dans la classe (je leur ré-explique la leçon ou je fais les exercices avec eux) ou je les prends en petits groupes dans une autre salle pour adapter le cours à leurs niveaux et leurs difficultés. Il y a 4-5 élèves par niveau qui ont d’immenses lacunes, pour certains leurs connaissances en français se résument à une page blanche, il faut tout reprendre : il faut leur apprendre à lire, à écrire, à comprendre, sans oublier leurs difficultés de concentration. Certains ont retenu des mots par cœur à force de les entendre mais ne savent absolument pas les lire, d’autres lisent encore en commençant par la droite comme en arabe et inversent les syllabes, d’autres ne savent pas ce qu’est une phrase … en gros j’ai du pain sur la planche !

La deuxième partie de ma mission commence à 14h30, je surveille les internes pendant leur temps libre et profite de ce moment pour papoter et faire des jeux avec eux. A 16h, je monte avec eux dans les salles de classe pour un temps d’étude jusqu’à 18h30 et j’aide aux devoirs de français, maths et sciences des niveaux EB2 à EB5 (du CE1 au CM2). Lorsque j’ai fini en avance avec les petits (ce qui est rare), j’aide les grandes au collège et lycée lorsqu’elles ont besoin. Les séances d’étude ne sont pas toujours faciles, l’exercice de l’autorité au Liban est différent de celui en France, les adultes crient beaucoup pour se faire entendre et respecter, ce que je n’ai pas du tout l’habitude de faire, et les enfants sont beaucoup plus à l’aise avec les grandes personnes. Il y a moins cette notion de hiérarchie et de respect des jeunes pour leurs aînés. Aujourd’hui je commence à bien connaître chaque interne ce qui facilite la communication avec chacun d’entre eux. Pour l’anecdote : un des garçons, Youssef, a été insupportable à l’étude un jour et m’a vraiment poussée à bout (les larmes étaient à deux doigts de couler) ; le soir, à la prière avant de dormir, il s’est excusé devant tous ses camarades en disant « pardon Jésus car j’ai été méchant avec madame Lucile » (c’est si chou !!). Bref, ce n’est pas facile tous les jours mais c’est beau de les voir progresser, c’est beau de leur transmettre le français et de les voir faire tant d’efforts pour y arriver, ils sont « braves » comme diraient les Libanais !

La troisième partie de ma mission commence aux alentours de 19h30, lorsque les enfants montent dans les dortoirs après le diner. Je commence par aider Soeur Léo dans le dortoir des garçons âgés de 5 à 11 ans : ici c’est toujours la java, ça court partout, ça hurle, ça pleure, ça rigole, les garçons quoi ! J’adore passer du temps avec eux, le manque d’un cadre familial et affectif se ressent beaucoup dans leurs comportements et se voit dans les yeux des plus jeunes. Pendant 45 min je ne suis plus la madame Lucile de l’étude, mais leur grande sœur qui joue et passe du temps avec eux. A 20h, ils sont tous dans leurs lits, ils disent la prière ensemble (le moment le plus mignon) et après avoir dit « bonne nuit Jésus, bonne nuit ma sœur, bonne nuit Lucile », les lumières s’éteignent et le silence règne (du moins en théorie). Je descends ensuite à l’étage du dessous chez les grandes filles de 14 à 18 ans : c’est mon moment préféré de la journée. Elles ont des situations familiales compliquées (décès d’un des deux parents, divorces difficiles …) et elles aiment se confier à moi et me raconter leurs vies. Elles me parlent de leurs problèmes à l’école, à l’internat, à la maison : je suis impressionnée par leur courage, leur persévérance dans les épreuves et surtout leur foi immense, elles offrent tout à Dieu ! Heureusement, les conversations sont souvent beaucoup plus légères, elles m’apprennent des mots en arabe, je leur raconte ma vie en France, elles me demandent quels produits je mets sur ma peau pour qu’elle soit « si jolie » et je leur réclame des cours de danse du ventre qu’elles exécutent à la perfection. J’aime leur curiosité et leur ouverture sur le monde, j’aime les voir s’entraider et se soutenir entre elles, je suis reconnaissante chaque jour de la manière dont elles m’ont accueillie, dont elles me complimentent sans cesse et dont elles prennent soin de moi au quotidien.

 

III – La vie en communauté

Je suis tellement reconnaissante et chanceuse d’avoir été envoyée dans cette communauté. Elle est composée de cinq soeurs : Soeur Léo, la plus jeune, devenue dès le premier jour ma « bestie », Soeur Samar nouvelle ici depuis l’année dernière, Soeur Joséphine ma petite maman, Soeur Jeanne d’Arc la cuisinière, et Soeur Marie la directrice de l’école qui est un vrai numéro. Elles sont toutes très gentilles, accueillantes et si drôles, je ne m’ennuie jamais avec elles. J’ai la chance de pouvoir passer régulièrement des moments en communauté : les déjeuners et dîners, les vêpres lorsque j’ai fini l’étude à temps, à l’internat le soir lorsque j’aide Soeur Léo et Soeur Samar, des petites pauses thé dans la journée, ou le soir devant le journal télévisé. En semaine, mes journées sont très complètes, je n’ai vraiment pas le temps de m’ennuyer, ce qui n’est pas plus mal pour moi qui redoute un peu la solitude, mais c’est très fatiguant et il faut apprendre à écouter son corps pour ne pas trop tirer sur la corde. C’est tentant de dire oui à tout ce que les soeurs me demandent, après tout je suis venue pour servir et aider, mais il faut garder en tête que je reste humaine et que mon corps a ses limites : apprendre à dire non est un exercice difficile mais tellement important. Les week-ends, j’aime aller à Beyrouth le vendredi après-midi avec le bus des internes et retrouver d’autres volontaires françaises pour visiter le Liban et découvrir la culture. Cela me permet de m’évader un peu de ma mission pendant 3 jours, d’avoir des moments de vie sociale et de permettre aussi aux sœurs de se retrouver entre elles.

Pour résumer tout ça, ma mission auprès de ces enfants est incroyablement belle. La résilience des enfants malgré les nombreuses difficultés qu’ils traversent m’inspire beaucoup ; la persévérance et l’énergie des soeurs qui donnent tout ce qu’elles ont pour aider ces enfants m’émeut tous les jours. J’ai encore beaucoup de chose à apprendre de toutes ces personnes, et beaucoup de choses à leur apporter. La situation géopolitique actuelle est très incertaine et chaque jour les soeurs et moi-même craignons l’annonce de mon rapatriement. Mais s’il existe bien une chose que j’ai retenu de ce début mission, c’est que la force de la prière est inébranlable et que chaque jour est un acte de confiance à poser en Dieu.