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Terre Sainte : le témoignage de Gersende

Gersende, 23 ans, a fait l’EM Lyon, après un Master de droit. Elle a passé deux mois chez des Religieuses en Terre Sainte à aider sans compter son temps, mais surtout à faire un retour très profond sur elle même :

Lyon, Courbevoie, Orly, Tel Aviv  

Accueillie à l’aéroport par Sœur Stefania, je me laisse porter. Une feuille de papier à mon nom, le grand sourire de celle qui veille sur les volontaires et sur moi depuis deux mois, une heure de voiture… après Afula, une chaîne de montagnes, et « derrière, c’est N… ». Un tunnel fend soudainement les pierres blanches de la colline, sur ma droite, la montagne sainte et deux falaises nous entourent alors, prêtes à s’effondrer sur la voiture qui me paraît ridiculement petite et fragile. J’aime penser aux portes d’un lieu magique, préservé des hommes par ces montagnes qui dévoilent délicatement leur secret dans la brume.

Mon visage reste neutre mais je suis impressionnée, perdue, un peu étonnée de réaliser que mes pas m’ont menée ici cet été… et doit également me rendre à l’évidence : ici, les choses se font « chouaï chouaï »1 et l’impatience doit s’ajuster. Une idée familière me rassure : je suis venue ici pour rendre service. Service qui prend un sens tout particulier auprès des Sœurs de Nazareth, au cœur de leur couvent et de la gigantesque hôtellerie tenue par leurs soins.

Réveillée parfois par la lumière du soleil, souvent par l’appel déconcertant du muezzin, très souvent par les cavalcades des pèlerins quittant la maison le matin, j’entends la ville se mettre en branle et le souk prendre vie aux pieds du couvent. Assez vite, certaines habitudes sont prises : commencer mes journées par un coup d’œil au lavoir, calme bâtiment perché en haut d’une des cours du couvent, et qui semble ne jamais désemplir de linges, torchons, serviettes… Aux chants des sœurs priant les laudes répondent les radios de nos différents voisins, ainsi que le brouhaha pour l’instant discret des touristes et pèlerins dans les rues de la ville.

Vient ensuite le contrôle des chambres de l’hôtellerie, labyrinthe devenue maison chérie aux recoins familiers, détails infimes de chaque chambre que j’ai plaisir à redécouvrir au quotidien. Car c’est véritablement ce mot de « quotidien » qui rythme mon été ; là où la routine peut angoisser, comprendre la beauté du quotidien, de ce quotidien, apaise et j’espère, grandit. Et ce n’est pas par hasard : le Mystère de Nazareth, vécu et médité par les sœurs, invite ici à se laisser « au quotidien, travailler par Dieu »2, à l’image de la vie cachée de la Sainte Famille, famille pleine d’amour et de tendresse dont on sait si peu.

Amour et tendresse que je retrouve auprès de chacune des sœurs, femmes formidables, touchantes d’écoute et d’humanité. Le déjeuner avec la communauté est un moment privilégié de partage spirituel, de conversations diverses et de fous rires nombreux. A l’école de la patience, j’apprends à parler, à envelopper chaque mot de douceur, d’articulation, et de précision. Si les yeux ou les oreilles de certaines se ferment tous les jours un peu plus, la lumière intérieure et la justesse dont elles font preuve me bluffent et m’interpellent. Parler autrement, éduquer son regard et son ton de voix, guider sans brusquer, se faire petite pour aider (ou du moins, essayer). Chaque geste posé ou mot prononcé se révèle surprenant d’intensité.

Surprise également de découvrir, et d’avoir la chance de faire découvrir, le fragile trésor du couvent. A quelques mètres sous la cour, dort en effet depuis maintenant deux mille ans un fragment de l’histoire humaine et chrétienne. Aux pierres du couvent répondent celles du premier au treizième siècle après Jésus-Christ, sorties en 1884 de leur long sommeil. Sous nos pieds, les vestiges d’un édifice construit par les croisés (qui, bien qu’ayant « oublié » d’écrire au sujet de leur passage en Terre Sainte, ont laissé derrière eux certaines pierres nous raconter leur histoire), d’une église byzantine et d’une maison du premier siècle, sous laquelle se trouve un tombeau de la même époque. Je remarque avec étonnement être touchée, visite après visite, par les hommes et femmes venant découvrir, imaginer, comprendre et se recueillir ici. Symboliques de l’eau et de la lumière, du triomphe de la vie sur la mort, de la justesse, de la famille… Ces fouilles sont un écrin d’éternité qui interroge.

Se dégage de plus en plus la fragilité du lieu, dans une ville particulière où la guerre menace, silencieusement certes, mais où les sens restent en éveil. Sans comprendre, j’avoue être bousculée et constate l’anéantissement d’une grande partie de ce que je pensais savoir. Il y  un sentiment de chaos ici, la cohérence m’échappe. Pourquoi, à Nazareth, être autant déplacée alors que je suis venue chercher ou rechercher un des berceaux de notre civilisation et de ma religion ? Je dois tous les jours réaliser et apprivoiser l’idée, par exemple, que chrétiens et musulmans à Nazareth partagent la même culture arabe, ou encore que des chrétiens ici, et d’ici, nous ont précédés et nous précèdent encore aujourd’hui.

Au fil des conversations, des rencontres et des amitiés naissantes, une vraie vie se crée à l’extérieur du couvent. Prier l’Angelus dans la Basilique de l’Annonciation, parler philosophie ou littérature avec les volontaires du Chemin Neuf à deux pas de la maison, apprécier le « Bonjour, comment ça va ? » du vieux monsieur qui vend des cigarettes au coin de la rue, s’asseoir à la terrasse d’un café et écouter Souad Massi à la radio, se retrouver autour de la fontaine de Marie… et partir. Jérusalem, Bethléem, Beit Shean, Beit Shearim, Tel Aviv, Akko, Magdala, Tiberias, Césarée, l’ascension du Mont Thabor hier matin… j’aimerais rester et ne jamais m’arrêter de marcher.

Presque sur le départ, une idée discrète se révèle peu à peu : les temps vécus ici sont bénis.

 


Notes :

1 Doucement, pas à pas.

2 Expression de Sœur C., m’expliquant la spiritualité de la communauté.